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Ignazio, comme c’est beau

Lisse et sous la coupe des lobbys? Peut-être, mais pas sûr que ce profil handicape le candidat Cassis dans sa marche vers le Conseil fédéral. Portrait en demi-teinte.

«Ignace, Ignace, c’est un petit nom charmant! Ignace, Ignace, qui me vient tout droit de mes parents». La vieille rengaine de Fernandel nous apprend aussi qu’Ignace aurait pu «s’appeler Machin, Chose ou bien Tartempion», mais «qu’on ne l’a pas voulu» et qu’au final, pour le dire dire tout net, c’est «un nom qui est rudement beau!»

Bref, la perspective guère improbable de voir un Ignace, et plus précisément un Ignazio, entrer au Conseil fédéral devrait réjouir tout le monde et chacun. Surtout que les caciques du parti radical tessinois nous assurent, la main sur le drapeau rouge et bleu, que ce Monsieur Cassis serait «un homme de science capable de résoudre des problèmes complexes».

Ignazio Cassis, c’est vrai, a été médecin cantonal. Une fonction qui ne s’apparente quand même pas à de la physique nucléaire. Elu au Conseil national en 2007, il avait déjà tenté sa chance en vain à la super cagnotte du Conseil fédéral en 2010. Le groupe radical des Chambres n’avait pas voulu de lui pour figurer sur le ticket du parti.

Cette fois, veulent croire ses supporters tessinois, la tâche devrait être plus aisée face à un couple valdo-genevois quelque peu disparate et qui de loin, vu en tout cas de la Suisse-alémanique, s’apparente un peu au Père Fouettard et à la fée Clochette.

D’autant que le Tessin, n’allons pas croire, est bien plus qu’un canton. C’est même et surtout, comme le dit Ignazio, «l’entonnoir de la puissante et dynamique Lombardie». Il est exact que les entonnoirs ne sont plus représentés au Conseil fédéral depuis longtemps. Sauf à servir parfois de couvre-chef à un membre ou l’autre.

Passons. Les amis d’Ignazio louent sa «rondeur». Ainsi qu’une «qualité relationnelle latine». Les Suisses-allemands, c’est bien connu, sont des Ostrogoths qui boivent leur prosecco dans des crânes encore ensanglantés.

Cerise sur le gâteau, Ignazio n’est pas un emmerdeur, détail qui compte dans le ronron fédéral: «C’est rare qu’on le voie très offensif à la Tribune, ce qui le met en bonne place pour le poste», explique ainsi le conseiller national PDC Yannick Buttet. Enfin, Ignazio sait tisser des compromis audacieux, du genre oui au mariage homosexuel à condition qu’on appelle ça autrement.

Et tant pis si personne ne le croit, il continue de prétendre qu’après la démission de Burkhalter, il a hésité, allant même jusque à peindre divers diables sur la muraille immaculée du Conseil fédéral: «J’ai craint, dit-il, de perdre ma liberté, d’étouffer…»

Cette liberté si précieuse, la gauche, jamais contente, reproche à Ignazio de l’avoir perdue depuis longtemps. Tout spécialement face au lobby des assureurs maladies dont il serait l’homme lige. Tout ça parce qu’il préside Curafutura, une association regroupant des caisses. Un péché quasi mortel. Autant pour la gauche présider ouvertement le syndicat du crime: «Il manque de clarté dans les positions qu’il exprime, note ainsi Regula Rytz, la présidente des Verts, on ne sait jamais qui il représente.»

Une vraie seringue dans le pied du brave Ignazio. Lui qui a l’air sympa comme tout, particulièrement quand il joue de la guitare en Une du Blick, alors que dans la vraie vie, c’est un peu différent. Son instrument de prédilection-là serait plutôt la tronçonneuse.

Lui, le président de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique, s’est opposé à la réforme Prévoyance 2020, sur une ligne plutôt âpre. Pas question évidemment d’augmenter les rentes AVS de 70 francs. En revanche il verrait bien un mécanisme de relèvement automatique de l’âge de la retraite en cas de difficultés financières.

On peut donc soupçonner qu’Ignazio soit de ces médecins privilégiant les remèdes de cheval. Au point que le président du PS Christian Levrat l’a menacé de «conséquences personnelles». Autrement dit, pour le vote de la gauche le jour J, tu peux toujours te brosser, camarade.

Mais lui, tranquille, laisse les chiens aboyer, sûr de monter dans cette caravane où ce sont en général les chameaux alémaniques et de droite qui font la loi. En plus, Ignazio dispose d’un argument en acier, sur l’air de «moi ou la fin du monde»: «Une Suisse qui exclut l’italianité n’est plus la Suisse.» Une voix de gauche devrait donc au moins lui être acquise: celle d’Ada Marra.