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Faire la bise à son client, ou pas

Certaines relations professionnelles peuvent devenir quasi amicales. A quel moment peut-on être plus familier?

«Faire la bise à une cliente était tout simplement impensable jusque dans les années 1970. La situation a progressivement évolué, et il est vrai qu’aujourd’hui on peut avoir un rapport différent, même s’il reste relativement policé.» Nicolas Leuba, président des garagistes vaudois et membre du comité central de l’Union professionnelle suisse de l’automobile, résume une évolution que tout le monde constate dans les rapports professionnels en Suisse.

Dans le cadre du travail, on ne devrait cependant jamais se sentir obligé d’adopter un comportement social contraire à ses envies et ses convictions. Pour autant, il faut savoir faire preuve d’un minimum de flexibilité. «Pour un premier contact, la poignée de main garde tout son sens, ainsi que le vouvoiement, dit Reza Etemad-Sajadi, professeur associé en marketing à l’École hôtelière de Lausanne et chargé de cours à HEC Lausanne. C’est en voyant le client et son comportement que le fournisseur va réaliser à quel point il peut progressivement s’adapter.»

Comment identifier les usages d’un client et s’y conformer? Ne pas aller contre les coutumes, et en même temps garder sa personnalité? Pour le professeur, «si le client veut nous faire la bise, c’est très difficile d’imaginer refuser». Mais quand à l’issue d’une réunion où tout le monde s’embrasse, vous ne souhaitez pas faire la bise, «il suffit de tendre la main pour régler le problème, estime Jean-Michel Favier, directeur d’une enseigne de grande distribution dans le sud de la France, où les rapports sociaux sont souvent particulièrement affectueux. Mais il faut le faire avec sourire et chaleur. Il y aura peut-être un moment de surprise si ce sont les habitudes des uns et des autres. Pourtant, dès l’instant où vous mettez de l’empathie et de la bienveillance dans votre geste, il n’y a pas de raison que cela choque. C’est à vous de mettre la distance.»

Le client donne le ton

Le tutoiement aussi est une question sensible. «Le vouvoiement reste de rigueur, par respect mais aussi pour neutraliser les différences d’âge. La seule exception que je tolère pour le tutoiement est avec les fournisseurs étrangers, qui font l’effort de parler notre langue», dit Aurélie Tison, acheteuse au sein du groupe anglais Kingfisher, régulièrement amenée à traiter avec des vendeurs à travers le monde. «Il faut gérer le tutoiement comme une marque cordiale d’une relation professionnelle, indique Nicolas Leuba de l’Union suisse de l’automobile. Dès lors que les deux personnes se tutoient ou se vouvoient, le rapport de force est le même.»

La relation entre le client et le fournisseur n’est pas neutre: on est parfois prêt à faire des concessions, à accorder des avantages, pour obtenir l’affaire. Mais il faut prendre garde que cela reste dans un cadre strictement professionnel, et bien légal. Si l’on y met une dimension personnelle, elle doit rester réciproque. Le client est roi, dit l’adage, et c’est donc lui qui donne le rythme. Le fournisseur, de son côté, doit s’adapter et ne pas se montrer intrusif dans la relation.

La clef, selon Reza Etemad-Sajadi, c’est «la cohérence et l’image que l’entreprise veut véhiculer à l’extérieur. Si un commercial ressent une gêne de la part de son client, il sera intéressant de récolter ces informations en interne pour adapter la relation à mettre en place. Le fournisseur pourra aussi choisir l’employé adéquat pour répondre au client.» C’est une question d’image, de culture d’entreprise et de positionnement de la marque: une hôtesse de l’air d’EasyJet n’a pas le même rapport à son client qu’un banquier privé. Une mauvaise gestion de la distance relationnelle peut entraîner des demandes non appropriées de la part du client.

Amitié sur Facebook déconseillée

«Cela ne veut pas dire qu’à l’extérieur on ne peut pas être ami, mais dans la relation commerciale, cela risquera de fausser les discussions ou les négociations, témoigne Jean-Michel Favier. En ce qui me concerne, lorsque j’ai des rendez-vous avec mes fournisseurs, je peux avoir deux ou trois mots gentils en début et en fin d’entretien, mais cela reste limité.» S’il y a une invitation de la part du client pour une sortie en dehors du contexte de travail, mieux vaut garder l’équilibre et partager l’information avec la hiérarchie.

Quant à être ami avec son client sur Facebook, il s’agit d’une pratique généralement déconseillée. Sauf, bien sûr, si celui-ci l’utilise à des fins strictement professionnelles. Mélanger les affaires et la vie privée n’est pas sans risque. «Cela demande du tact et de savoir faire la part des choses. Ce serait toutefois dommage de s’en priver, dit Jean-Michel Favier. Car les relations amicales entre client et fournisseur peuvent créer de belles relations humaines.»

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Us et coutumes à travers le monde

Panorama des différentes marques d’affection avec Benedikt Schwartz et Nader Erfani, conseillers export chez Switzerland Global Enterprise.

Inde
Embrasser quelqu’un est un véritable tabou en Inde. Impensable dans les relations de travail.

Chine
Dans le monde des affaires en Chine, il est vivement déconseillé de faire la bise.

Japon, Corée
Il n’est pas question d’embrasser quelqu’un en Corée ou au Japon. En règle générale, on ne se touche pas la tête. Seule exception: les hommes ou les femmes qui travaillent ou ont travaillé avec l’Occident et qui ont tissé des liens étroits avec leurs partenaires. Ils apprécient généralement de se faire la bise.

Espagne, Italie, France
Généralement inappropriée, la bise peut néanmoins se faire entre collègues ou entre relations professionnelles, lorsqu’on se connaît depuis longtemps.

Allemagne, Grande-Bretagne
Il n’est habituellement pas souhaitable de se faire la bise dans le monde des affaires. On peut cependant s’embrasser entre collègues ou relations commerciales si l’on connaît bien la personne à titre privé.

USA, Canada
Il n’est pas très courant de s’embrasser aux Etats-Unis, ni dans la partie anglophone du Canada. Aux Etats-Unis, on se serre la main ou on se donne une brève «accolade» («hug») si on se connaît bien. Les hommes se font parfois une petite tape dans le dos. Au Québec, en revanche, la bise est plus courante, mais plutôt réservée au cadre privé. Elle est envisageable dans le monde professionnel à condition de bien se connaître et d’avoir longuement travaillé ensemble. Mais en tout cas pas à la première rencontre.

Iran
Pour les hommes, il existe plusieurs degrés de salutation. On ne fait pas la bise si l’on ne connaît pas la personne ou à la première rencontre. Par la suite, lorsqu’une certaine familiarité s’installe, on peut se donner une accolade en tendant la joue et une petite tape dans le dos. Si l’on veut souligner les retrouvailles et montrer son intention de renforcer la relation, alors on se fait une double bise, tout en se tapotant dans le dos pour garder le côté solennel. Si le niveau social de l’une des personnes est très élevé, la bise devient alors impossible et peut se transformer en baisemain.

Entre hommes et femmes, au travail ou dans un lieu public, on saluera la femme par un sourire et éventuellement une salutation ou courbette mains jointes pour montrer son respect.

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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.