«Il y a de formidables opportunités dans la nouvelle économie. Les femmes doivent absolument s’avancer pour en bénéficier car à l’heure actuelle, leur potentiel de compétences est complètement négligé par l’industrie high-tech.»
Avec ses grands yeux effilés, son pantalon et son col roulé noirs, Margarita Quihuis fait davantage penser à une héroïne de manga qu’à une executive woman. A 38 ans, elle dirige le Women’s Technology Cluster (WTC), un incubateur d’entreprises fondées par des femmes – ou dans lesquelles une femme occupe un poste-clé. Le WTC est installé dans un ancien entrepôt à proximité du port de San Francisco.
Comme tout incubateur, le WTC sélectionne sévèrement les startups qui viendront s’installer dans ses locaux et qui bénéficieront ainsi d’une crédibité auprès des sociétés de capital-risque. «Pour être choisi, le principe est toujours le même, résume Margarita Quihuis. Il ne suffit pas d’avoir inventé quelque chose de génial. Il faut que quelqu’un soit prêt à payer pour acquérir votre produit. Sinon, vous ne gagnerez jamais d’argent et votre société disparaîtra.»
Le WTC offre des facilités bureautiques, un conseil et un réseau de relations. Créé par différentes fondations publiques et privées, il a ouvert ses portes en 1999 avec le soutien de compagnies industrielles. Il a été choisi par Panasonic comme partenaire stratégique au sein de la Silicon Valley. C’est là que le groupe japonais installe les jeunes sociétés qui lui sont affiliées.
Le WTC abrite actuellement onze startups, ce qui représente une quarantaine de personnes. Il y a 60% d’hommes et 40% de femmes. Un record absolu de féminité dans l’industrie du Net.
A la réception du WTC, une jeune femme asiatique à la frange mauve m’accueille. Le dernier album de Madonna passe en fond sonore. Je me croirais dans une galerie d’art. On m’explique que la fondatrice, Catherine Muther – ancienne directrice chez Cisco Systems et détentrice de stock options – est aussi collectionneuse: c’est elle qui a fait installer des œuvres de jeunes artistes sur tous les murs.
Chaque pièce est équipée d’une cheminée où des bûches sont prêtes à s’enflammer. L’allumage au gaz est contrôlé par télécommande. Au milieu du bâtiment, un immense espace fait office de cuisine et de salle de séjour. Difficile d’imaginer des bureaux plus cool.
«Aujourd’hui, le commerce en ligne n’a plus du tout la cote, m’explique Margarita Quihuis. Ce que les investisseurs recherchent, ce sont des startups qui travaillent dans la communication mobile pour le Net (le «wireless») et les technologies optiques.»
Depuis la chute du Nasdaq, au printemps dernier, le capital-risque s’est raréfié et les entreprises débutantes ont dû adapter leur stratégie. «Il leur faut dégager des bénéfices le plus rapidement possible et donc limiter leurs frais. Les activités de développement sont souvent délocalisées vers des pays comme l’Inde où la main d’oeuvre est meilleur marché», poursuit Margarita Quihuis.
Au WTC, garçons et filles ont le même look: sweater en coton, jeans et baskets, avec une pointe de recherche dans la monture de lunettes ou la coupe de cheveux savamment négligée. Les entreprenautes viennent des quatre coins du monde: Turquie, France, Hong Kong…. On me présente les Australiens de AgentArts: ils ont développé une solution pour dénicher dans le puits sans fond du Net les musiques et vidéos qui correspondent à vos goûts, en fonction de préférences pré-enregistrées.
Depuis l’ouverture du WTC, sept sociétés ont quitté l’incubateur pour voler de leurs propres ailes. AudioBasket offre un service d’information sur demande, spécialisé sur le média radio, qui rencontre un vif intérêt. De son côté, Lavonne Luquis a voulu créer avec Latino.com le site de la communauté hispanique des Etats-Unis.
«Aujourd’hui, poursuit Margarita Quihuis, la pénurie de personnel high-tech est telle que l’employeur se moque complètement du fait que vous soyez un homme ou une femme: il a déjà bien assez de soucis avec son business plan et ses parts de marché. Le problème, c’est que les femmes n’ont pas assez confiance en elles pour s’engager pleinement dans ce genre de carrières. Elles se vendent mal, alors qu’un homme trouve beaucoup plus naturel d’expliquer combien il est bon.»
Margarita Quihuis sait de quoi elle parle. Née de parents hispaniques, elle a derrière elle un parcours professionnel atypique et brillant. Ingénieur de formation, elle a travaillé dans l’industrie spatiale chez Raychem puis elle s’est tournée vers le capital-risque en entrant chez Horsley Bridge Partners où elle a développé un modèle d’analyse pour sélectionner les jeunes sociétés. Sous sa gestion, le portefeuille d’investissement est passé de 350 millions à un milliard de dollars (1,85 milliard de francs suisses). Après quinze ans passés dans des compagnies privées, elle a pris la tête du WTC.
«Qu’il s’agisse des femmes ou des Latinos, toutes les minorités du monde économique réagissent de la même façon: en considérant que les discours neutres sont hostiles, explique Margarita Quihuis. Si une entreprise n’emploie pas de femmes, une candidate soupçonnera un comportement mysogine. Pour qu’elle s’y sente en confiance, il faut mentionner explicitement que les femmes y sont bienvenues. Au WTC, nous ne faisons rien de plus.»
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Mary Vakaridis, journaliste et collaboratrice régulière de Largeur.com, séjourne pour quelques mois à San Francisco.