Ainsi, la Suisse s’apprête à élire un nouveau conseiller fédéral, autrement dit un nouveau ministre. Depuis deux mois, les journaux redoublent d’analyses, de commentaires et d’interviews sur le sujet, histoire de permettre aux citoyens de se forger une opinion. Mais cette agitation médiatique ne peut influencer que les 246 parlementaires de l’Assemblée fédérale car ce sont eux, et eux seuls, qui élisent le gouvernement.
A Berne, les couloirs du Palais fédéral vrombissent de rumeurs et de mots d’ordre informels depuis que l’unique ministre affilié à l’Union démocratique du centre, Adolf Ogi, a démissionné. Les stratégies des partis s’élaborent au fil des jours. Elles vont encore s’affiner jusqu’au mercredi 6 décembre, jour de l’élection.
La tradition, qu’on appelle «formule magique», prévoit de remplacer un ministre UDC par… un ministre UDC. Cependant, les libéraux remettent en question cette immuabilité bien helvétique, tout comme les Verts qui n’hésitent pas à présenter une candidate au gouvernement, Cécile Bühlmann.
Quant aux socialistes, ils souhaitent tout simplement bouter l’UDC hors de l’exécutif, malgré le triomphe du parti de Christoph Blocher aux dernières élections fédérales. Ils répètent qu’un candidat favorable à l’initiative xénophobe «contre les abus dans le droit d’asile» n’a pas sa place dans un gouvernement consensuel. Et il se trouve, effectivement, que les quatre personnalités UDC en lice soutiennent cette initiative…
Il y a d’abord les deux candidats officiels, choisis par le groupe parlementaire agrarien au soir du 28 novembre: Rita Fuhrer (ZH) et Roland Eberle (TG). Depuis quelques jours, ils sont auditionnés par les députations des différents partis. L’impression qu’ils laisseront aux parlementaires sera déterminante.
Ce double ticket officiel fait pourtant grincer quelques dents. L’UDC, qui se vantait d’avoir une bonne douzaine de ministres potentiels parmi ses parlementaires, présente en effet deux candidats qui ont le même âge (47 ans), sans point d’ancrage à Berne, tous deux conseillers d’Etat et de pure tendance blochérienne.
Autant dire que le choix de l’Assemblée fédérale est restreint. «C’est une provocation», s’insurgent les socialistes.
Rita Fuhrer se présente comme une mère de famille dynamique et sportive doublée d’une politicienne talentueuse. Son parcours professionnel modeste, son aspect proche des foyers suisses et la fulgurance de son ascension politique à Zürich lui valent une grande popularité.
Mais Lovely Rita – comme on la surnomme en référence à une chanson des Beatles – traîne derrière elle un boulet: elle habite Zürich et ce canton est déjà représenté au gouvernement par Moritz Leuenberger. Quoi que la règle d’un unique conseiller fédéral par canton paraisse désuète, les parlementaires ne semblent pas prêts à l’abandonner, surtout pour un canton réputé aussi arrogant que Zurich.
Le revers du ticket: un Roland Eberle inconnu des parlementaires. Cet ingénieur agronome thurgovien siège depuis longtemps à l’exécutif de son canton. Né de mère vaudoise, il se dit particulièrement sensible aux minorités («qu’elles soient linguistiques, campagnardes ou montagnardes»), mais reconnaît ne pas avoir de contact particulier avec la Suisse romande.
Dans cette élection, d’autres candidats UDC, évincés par le parti, conservent toutes leurs chances. Le favori est certainement le conseiller aux Etats bernois Samuel Schmid. Cet avocat et notaire de 53 ans jouit du respect de ses collègues parlementaires. Quant à l’outsider grison, Christoffel Brändli, économiste de 57 ans soutenu par les «montagnards», il prévoit «qu’il peut se passer beaucoup de choses d’ici le 6 décembre…»
La question est dès lors de savoir si l’Assemblée fédérale élira un candidat officiel, proche de Christoph Blocher, ou alors un franc-tireur qui risque de maintenir le tribun zurichois dans une opposition systématique.
Tout est encore permis sous la Coupole: alliances, coups bas et bluff. Une partie de poker en quelque sorte. Comment obtenir un maximum de voix au premier tour? Comment voter utile au deuxième? Voilà des préoccupations qui, contrairement aux élections des gouvernements cantonaux, laissent le peuple suisse aux portes du Palais, l’oreille rivée sur un poste de radio, incapable de dire son mot.