CULTURE

Le livre de Beigbeder vaut-il vraiment 99 francs? Euh…

C’est le roman qu’il faut avoir lu cet automne. Mais Beigbeder, brillant publicitaire parisien, est-il pour autant un bon écrivain? Pas sûr. Un livre à lire si vous nouez encore votre pullover sur vos épaules.

C’est, paraît-il, le bouquin de la rentrée. Tout le monde doit avoir mis son nez dans le vomi gorgé de formules crues et creuses que déverse un jeune publicitaire parisien dégoûté du monde de la pub. Titillement accessoire: ce roman à clés aurait permis à son auteur, le jeune et brillant Frédéric Beigbeder, de réaliser enfin son rêve: se faire virer de l’agence Young et Rubicam France où il travaillait comme concepteur-rédacteur depuis cinq ans.

J’ai donc moi aussi lu «99F». Beigbeder le publie chez Grasset après quatre autres romans et nouvelles aux titres évocateurs: «Mémoires d’un jeune homme dérangé», «Vacances dans le coma», «L’Amour dure trois ans» et «Nouvelles sous ecstasy».

Dès la première page, l’essentiel est dit en deux petites phrases: «Tout s’achète: l’amour, l’art, la planète Terre, vous, moi. J’écris ce livre pour me faire virer». Les 280 pages qui suivent ne font que développer ces propos liminaires optimistes.

Faute d’offrir au lecteur une intrigue très complexe, Beigbeder (prononcer bègue-bédé) met le paquet côté slogans, pardon, côté «titres» puisqu’on appelle dorénavant ainsi les phrases bien roulées qui clignotent et font mouche. FB en truffe son récit, celui de la campagne publicitaire menée par l’agence Rosserys et Witchcraft, dite Rosse, pour le yoghourt Maigrelette de Madone (comprenez Danone).

Son héros, Octave, monte en grade grâce à des titres immortels style «Maigrelette. Pour être mince sauf dans sa tête» ou mieux encore «Maigrelette. On a tous besoin d’une dose de légèreté».

Mais Octave déprime encore plus grave que le SDF qui squatte le pied de son immeuble: il a perdu Sophie, il ne couche même pas avec Tamara qu’il paie pour lui caresser le coude et s’il se vautre dans le porno, il n’éjacule que dans son pantalon.

Bref, «99F» et Maigrelette permettent à FB de descendre en flèche tout ce qui bouge sur cette planète, des connards d’êtres humains aux connards de clients aux connards de consommateurs en passant par ces connes de femmes et ces cons de directeurs-concepteurs-réalisateurs. La seule dans l’histoire qui ait l’air plutôt sympa et les pieds sur terre est évidemment Tamara, prostituée haut de gamme qui pose pour Maigrelette et sait répliquer au bon moment «Arrête de m’agresser ou je fais une rupture d’anévrisme!».

De lignes de coke en poings dans le cul en passant par de longues nuits au Nibarland et le superbe prix obtenu à Cannes grâce à Maigrelette, l’auteur veut évidemment nous dégoûter, nous aussi, de ce monde sordide qui récupère jusqu’aux révoltes les plus tenaces et même les évasions les plus lointaines.

Il donne ici et là quelques informations peut-être intéressantes sur le budget et les techniques des grandes agences de publicité. Mais comment savoir ce qui est vraiment documenté dans ce roman fatras? Il racole trop fort, ce publicitaire qui le reste jusqu’au bout des phrases. C’est qu’il espère quand même nous amuser.

Dans une interview récente, il confie son inquiétude au copain du magazine Technikart quand il lui demande: «T’as ri quand même?». Et le journaliste de répondre impitoyablement: «Mais oui bien sûr, Frédéric, j’ai ri, j’ai ri».

Bon, soyons juste: les 29,90 francs suisses dépensés pour «99F» ne sont sans doute pas totalement gaspillés. Considérons-le, on ne sait jamais, comme un lexique pub et photocopions les pages 108 et suivantes qui listent la panoplie vestimentaire et l’ameublement du bon créatif.

Ci-dessous, quelques citations à emporter si vous avez prévu d’aller vous accouder ce soir au Nibarland.

«L’homme est un produit comme les autres, avec une date limite de vente. Voilà pourquoi j’ai décidé de prendre ma retraite à 33 ans. C’est, paraît-il, l’âge idéal pour ressusciter.»

«- Je lance un nouveau média, il faut absolument que je t’en parle, ça s’appelle le «magalogue»: c’est entre le magazine et le catalogue. – Pourquoi tu ne l’appelles pas le catazine?»

«Octave l’a compris: le vrai hédonisme, c’est l’ennui (…). Il s’emmerde avec délectation sous un cocotier; son bonheur consiste à regarder deux sauterelles s’enculer sur du sable en marmonnant: – Le jour où tout le monde acceptera de s’emmerder sur Terre, l’humanité sera sauvée.»

«Il était temps pour lui de changer. Il était beaucoup trop années 80 avec sa coke, ses costumes noirs, sa thune et son cynisme à deux balles. La mode avait évolué : il ne fallait plus étaler sa réussite et son travail mais faire semblant d’être pauvre et avoir l’air d’un glandeur. (…) Désormais, il fallait porter une vieille paire d’Adidas, un tee-shirt Gap troué, un jean Helmut Lang crade(…) Plus on était monstrueusement bourré de fric, plus on avait l’air d’un SDF.”

«MAIS QU’EST-CE QU’ILS ONT TOUS AVEC LEURS PULLS NOUES AUTOUR DU COU? Ou bien il fait froid et on enfile le pull, ou bien il fait chaud et on le laisse à la maison. Le pull autour du cou trahit la lâcheté, l’incapacité à prendre une décision, la peur des courants d’air, l’imprévoyance et la veulerie, l’exhibitionnisme du shetland. (….) NON A LA DICTATURE DU PULL SUR LES EPAULES!»

A laisser sur un répondeur féminin: «Rappelle-moi, tes épaules ressemblent à des œufs à la coque, il faut que tu me changes les idées, c’est urgent, je veux tremper mes mouillettes dans ta vie, Octave.»