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Le dernier tabou est gazeux

Les différences entre Romands et Alémaniques sont nombreuses et connues. Il en est une, pourtant, dont personne n’ose parler. C’est un tabou, un vrai. Et ça ne sent pas bon.

C’est un sujet délicat. Les Occidentaux n’en parlent pas volontiers. Sauf Gainsbourg, qui en avait fait le thème central de son unique roman, «Evguénie Sokolov».

Ce sujet, j’avais envie de le traiter depuis des semaines mais je n’osais pas. La crainte de paraître vulgaire ou ridicule, sans doute. Et puis, j’ai lu dans un magazine féminin un article consacré au pénis, présenté comme «un des derniers tabous qui a fini par tomber».

Il est exact qu’aujourd’hui, les tabous ne sont plus à chercher dans le registre du sexe. Pas de doute, moi, j’en tenais un, de tabou. Un vrai de vrai, désigné par un nom dont le Littré déconseille l’usage. Je veux parler du pet.

Deux expériences personnelles sont à l’origine de mon intérêt pour ce sujet léger comme l’air mais pas vraiment dans le vent. Un retour en TGV de Paris et un séjour à Macolin.

Racontons. Je revenais donc de Paris en train. Le wagon était occupé majoritairement par des Romands, à l’exception d’une passagère alémanique d’une cinquantaine d’années. A un moment, elle s’est levée pour se rendre aux toilettes, mais voilà : elle n’a pu retenir, en se levant, un vent.

Les autres passagers l’ont senti passer et se sont mis à pouffer. Quand la fauteuse de trouble est réapparue, elle a été stupéfaite de découvrir la mesure d’un si petit relâchement dans un wagon de Romands. Un voyage dont elle se souviendra.

L’autre anecdote s’est passée à Macolin, où j’ai passé quelques jours de formation avec des sportifs écolos d’outre-Sarine. Dans la forêt, en pleine course d’orientation, mon coéquipier m’a soudainement gratifiée d’un véritable tir d’artillerie.

Les secondes se sont écoulées sans la moindre excuse. Concentré sur la recherche du prochain poste, il a fait comme si de rien n’était.

Les termes utilisés par Gainsbourg pour qualifier son héros Sokolov me sont alors revenus à l’esprit: «Embaumeur, Bombarde, Canonnier, Artificier, Artilleur, Baroudeur, Bertha, Fuite, Odorant, Grisou… » Je suis restée muette .

Le lendemain, au cours d’une marche en groupe dont je vous épargne les détails odorants, j’ai découvert d’autres personnes entretenant des rapports pour le moins détendus avec leurs gaz d’échappement. De véritables émules de Joseph Pujol, dit Le cialis shipping, un Marseillais effervescent né en 1857 qui était devenu l’artiste de variété le mieux payé de son époque!

Mes expériences seraient-elles purement fortuites? Pas si sûr. Dès mon retour, j’ai interrogé à ce sujet Christophe Büchi, le spécialiste du «Röstigraben» (ouvrage paru chez NZZ Verlag). Il a avoué, perplexe, ne pas avoir pris en compte dans son analyse des clivages entre Romands et Alémaniques une inégalité à l’égard des pets. Inégalité dont il semble tout ignorer.

Pourtant, l’explication ne tient pas du mystère. C’est qu’entre Genève et Romanshorn, la consommation de birchermüesli n’est en rien comparable…

Les informations que j’ai obtenues auprès du producteur Familia à Sachseln l’attestent. Une responsable du marketing, Daniela Reichlin, m’a confirmé que «les Romands ressemblent aux Français qui ne mangent pas de bircher».

En prenant mieux soin de leur corps (la répartition des coûts de la santé le confirme), nos voisins alémaniques consentent à en subir quelques effets fâcheux. Une diététicienne m’a avoué ne pas oser aborder de front le sujet dans ses consultations. Evoquant les «problèmes de transit intestinal», elle m’a confié: «Qui mange sainement, vente environ dix fois par jour».

Appliquer des consignes de nutrition saine, c’est donc s’exposer à devoir gérer ses flatulences. De toute évidence, cette gestion est fort différente de part et d’autre de la Sarine.

J’ai parlé de cette histoire à plusieurs personnes, et à chaque fois, je les ai décontenancées. Il faut croire que ce tabou est encore vivace.

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A lire, «Evguénie Sokolov», de Serge Gainsbourg (éditions Gallimard) et la récente biographie de Pujol, «Le pétomane au Moulin-Rouge», de Jean Nohain et François Caradec (éditions Mazarine).

Et, bien sûr, de San Antonio, «Le pétomane ne répond plus » (Fleuve Noir).