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Maths: comment faire pousser la bosse?

Généralement peu appréciée des élèves, la science mathématique peut devenir ludique et compréhensible par chacun. Elle offre un bagage précieux pour l’avenir professionnel.

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Les travaux du neuroscientifique français Stanislas Dehaene ne souffrent d’aucune confusion: il n’y a pas de don inné pour les maths. Il suffit d’alimenter les aires du cerveau impliquées lors de la pratique des mathématiques pour les rendre performantes. Pourtant cette discipline provoque encore et toujours des sueurs froides aux étudiants et sont trop souvent la cause d’échecs scolaires. A qui en incombe la responsabilité? Comment les enseignants doivent-ils aborder les maths pour susciter l’intérêt, clé de leur apprentissage?

Tout se jouerait à l’enfance. «Tous les enfants sont intéressés par les maths!» assène Christine Del Notaro, chargée d’enseignement en didactique des mathématiques à l’Université de Genève. Pour elle, la répulsion face à cette discipline est un pur produit scolaire. Thierry Dias, professeur en didactique des mathématiques à la Haute école pédagogique du canton de Vaud, précise que cette peur touche également les enseignants et qu’elle provient du caractère abstrait des mathématiques. «Les objets mathématiques n’existent que dans l’esprit. Dès lors, tout le problème est de savoir comment les représenter pour qu’ils deviennent concrets.» En d’autres termes, pour réussir des problèmes mathématiques, il faut mettre en mots des connaissances. Et c’est là que le bât blesse, car comme le souligne le didacticien: «Dire des maths n’est pas faire des maths.» Il considère que nous faisons tous des maths sans nous en rendre compte, et plutôt bien: des sudokus pour la logique ou le jeu vidéo Pokémon Go pour l’orientation. «Il faut décomplexer», lâche-t-il.

Rudolf Riedi, professeur en mathématiques à la Haute Ecole d’ingénierie et d’architecture de Fribourg — HEIA-FR, précise que les maths ne sont pas seulement de l’algèbre et des calculs. Ils sont avant tout un langage, soit «une façon de penser et de communiquer qui structure l’esprit pour approcher des problèmes». En pleine révolution numérique, un nombre grandissant de secteurs d’activité sont remplacés par des algorithmes derrière lesquels se cachent des maths. Dès lors, pour évoluer dans notre société, un solide bagage mathématique est désormais indispensable au plus grand nombre.

Des clés pour aimer les maths

C’est toute la diversité des registres de représentation comme le dessin, l’écriture, le langage ou encore la construction qui doit être utilisée avec les mathématiciens en herbe. «Apprendre à écrire une addition en classe enfantine n’a pas de sens!» dit Thierry Dias. Pour lui, il existe quatre clés pour faire aimer les maths aux élèves: jouer, ritualiser, raconter et investiguer.

Expérimenter constitue le fer de lance de Christine Del Notaro: faire découvrir, laisser les élèves face à des problèmes ouverts afin qu’ils puissent suivre le fil de leurs pensées. «Il y a des problèmes qui comportent la notion à transmettre, comme faire 12 fois 8. Face à ce problème, les élèves demandent eux-mêmes comment faire plus simple que d’additionner douze huit d’affilée. Ils sont dès lors prêts à envisager la multiplication.» Pour apprendre par l’expérience, le Mathscope de l’Université de Genève accueille les classes ou les groupes «de 4 à 104 ans» et propose une quinzaine d’ateliers. «Les visiteurs investissent les maths à travers des problèmes qui demandent peu ou pas de connaissances préalables, mais surtout de la logique», indique Shaula Fiorelli, coresponsable du Mathscope.

À plus haut niveau, il est parfois trop tard pour s’intéresser aux maths, car le rythme d’apprentissage est élevé. «Apprendre les maths, c’est comme bâtir une maison. La moindre fragilité dès la pose des fondations et tout s’écroule», illustre Shaula Fiorelli. Alors, comment combler le retard ou susciter l’intérêt des plus grands? Christine Del Notaro indique que les recherches en didactique des mathématiques au niveau postobligatoire montrent qu’il est possible de faire évoluer les registres de représentation à tout âge pour qu’ils ne deviennent pas un obstacle. La notion de classe en opposition aux cours ex cathedra dispensés par les universités est importante selon Pascale Voirin, professeure à la HEIA-FR. «Nous pouvons effectuer un suivi des étudiants, car nous en sommes proches et pouvons échanger.» Elle suscite leur intérêt avec des exemples concrets comme l’effondrement du pont de Tacoma. Pour ne pas perdre l’attention des étudiants plus âgés, l’enthousiasme, l’attitude et l’interaction avec les étudiants est capitale, estime Rudolf Riedi.


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TROIS QUESTIONS A

Lauréat de la prestigieuse médaille Fields en 2010, le mathématicien français Cédric Villani est un fervent défenseur de la discipline. Il dirige actuellement l’Institut Henri-Poincaré, une école-laboratoire de recherche dédiée aux mathématiques et à la physique théorique. Il projette par ailleurs d’ouvrir un musée à Paris pour faire partager la passion de cette science au plus grand nombre.

Les mathématiques prennent toujours plus d’importance dans notre société, mais bon nombre d’élèves ou d’étudiants sont angoissés par la discipline. Comment l’expliquer?
Ce paradoxe est très répandu dans les sociétés développées. On peut blâmer pêle-mêle le haut niveau d’attentes vis-à-vis de la discipline et qui génère de l’angoisse; l’incompréhension par rapport au sens de la discipline; la réduction des horaires; le manque d’enseignants en maîtrise de ce sujet. Ce dernier point est dû à la fois à la difficulté du métier, dont les conditions peuvent être perçues comme peu attractives, et au fait que la plupart des enseignants, pour les plus jeunes, sont résolument littéraires de formation. Le recrutement et la formation d’enseignants et d’enseignantes ayant qualification et motivation sont un enjeu majeur.

Quels outils faut-il utiliser pour mieux transmettre le goût des mathématiques aux élèves?
Le jeu est une piste, de même que les histoires et la culture. Les enseignants sont souvent mal préparés par rapport à ces sujets, et il faut dire que nous devrions les former davantage. Mais surtout, c’est aux enseignants de trouver par eux-mêmes les bonnes pratiques, en expérimentant, en discutant avec leurs collègues, en travaillant dans le cadre des centres de recherche et de formation universitaire qui y sont dédiés. Toute la noblesse du métier d’enseignant réside dans la possibilité de faire ses choix pédagogiques pour transmettre au mieux.

Pouvez-vous nous dire quelques mots de votre projet de musée des mathématiques, qui devrait ouvrir ses portes à Paris d’ici à 2020?
Ce projet a pour but de parler de mathématiques pour tous et toutes: enfants et adolescents, enseignants, simples curieux… On y abordera les aspects techniques, culturels, historiques, technologiques… Des entreprises sont partie prenante, des établissements scolaires y seront étroitement associés. On y trouvera aussi des activités telles que jeux de piste ou réalité augmentée. Tout cela n’a pas vocation à se substituer aux cours de mathématiques, mais à les éclairer et à contribuer à leur donner du sens.
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ENCADRE

Les élèves suisses, champions du monde

Selon l’étude Pisa 2016 qui compare les niveaux scolaires internationaux, les élèves suisses sont les meilleurs européens et parmi l’élite mondiale derrière les pays asiatiques. Attention toutefois, car il s’agit d’une moyenne suisse et les niveaux sont très variables entre les cantons, indique Thierry Dias, professeur en didactique des maths.

Selon lui, le niveau romand ne serait pas à la hauteur. La professeure Pascale Voirin juge néanmoins le niveau de maths des étudiants satisfaisant lors de leur arrivée à la HEIA-FR. Certainement parce que la majorité commence une formation technique en raison d’un intérêt ou une facilité en maths. Celles et ceux qui n’ont pas un bon niveau sont, pour la plupart, éliminés dès la première année.
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Collaboration: Erik Freudenreich

Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères (no 13).

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