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Garde-temps de l’extrême

Les marques horlogères soutiennent de longue date des expéditions scientifiques. Leurs montres ont accompagné les plus grands exploits réalisés par l’homme.

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Faire le tour du monde à bord d’un avion fonctionnant exclusivement à l’énergie solaire. C’est la prouesse accomplie en 2016 par l’équipe de Solar Impulse en un peu plus d’une année. Pour atteindre ce but, il a fallu équiper l’appareil — piloté par les Suisses Bertrand Piccard et André Borschberg — d’instruments bien spécifiques. Omega a participé à l’élaboration de plusieurs d’entre eux. Elle a notamment fabriqué un système de phares d’atterrissage allégé, un répartiteur d’énergie — qui transfère de l’énergie d’un réacteur à un autre — et une alarme émettant un bourdonnement toutes les 20 minutes pour s’assurer que le pilote ne s’endorme pas.

Mais la maison biennoise a surtout développé l’«Instrument Omega», un dispositif prévu pour assister les pilotes en phase d’approche et d’atterrissage en maintenant la stabilité de l’appareil. En 2010, lors de la période d’essais, André Borschberg réalise le premier vol de nuit en avion solaire et inaugure à cette occasion l’utilisation de l’«Instrument Omega». La Speedmaster Skywalker 10X-33 Solar Impulse Édition Limitée rend hommage à ce partenariat. Le modèle a été testé et homologué par l’Agence spatiale européenne et le fond de son boîtier en titane est frappé du logo du projet.

Il ne s’agit là que d’un exemple parmi d’autres de marques horlogères prenant part à des expéditions pionnières de la sorte. Si Omega mise essentiellement sur son expertise technologique, d’autres horlogers mettent l’accent sur la fiabilité de leurs produits. C’est notamment le cas de Zenith, qui était en 2012 le chronométreur et sponsor du saut de Felix Baumgartner depuis une capsule attachée à un ballon géant à plus de 39’000 mètres d’altitude. La prouesse avait fait le tour du monde. L’Autrichien est officiellement le premier homme à avoir franchi le mur du son — 1,24 fois sa vitesse, soit 1341,9 km/h. À son poignet, le chronographe Zenith El Primero Stratos Flyback Striking 10th, qui devient ainsi la première montre à battre également ce record.

Résistance aux écarts de température

À son arrivée dans le désert du Nouveau-Mexique (États-Unis), la montre fonctionnait parfaitement, même après avoir été soumise à des conditions extrêmes: à 39’000 mètres au-dessus du niveau de la mer, la température atteint -62°C et la pression atmosphérique ne représente que 0,5% de ce qu’elle est au sol. Pour l’occasion, un fond de boîtier plus solide remplaçait le traditionnel fond transparent en saphir. Il était gravé de la devise de Felix Baumgartner «Apprends à aimer ce qu’on t’a appris à craindre».

Cet exploit témoigne de la résistance des montres Zenith aux conditions les plus rudes. Et ce n’est d’ailleurs pas la première fois: en 1970, un modèle El Primero a traversé l’Atlantique attaché au train d’atterrissage d’un avion. Là aussi, les écarts de température et de pression à la norme étaient très importants.

Pourquoi les marques horlogères participent-elles à de telles prouesses? «Investir dans ces expéditions donne accès à une visibilité très importante, relève Grégory Gardinetti, historien à la tadalafil 20mg tabs à Genève. Le saut de Felix Baumgartner avait rassemblé plus de 8 millions de spectateurs sur YouTube.» Un investissement qui a évidemment des retombées en matière de ventes. Marco Richon, président de l’Association suisse des amateurs d’horlogerie et ancien conservateur du musée Omega, se souvient que «lors de chaque mission lunaire, entre 1969 et 1972, les ventes du chronographe Speemaster — la montre choisie par la NASA pour tous ses vols habités — prenaient l’ascenseur. Et revenaient à la normale une fois les missions terminées.»

La montre comme instrument scientifique

Au-delà de leur retentissement médiatique, ces exploits humains visent le plus souvent à faire avancer la recherche. Le projet Stratos de Felix Baumgartner aura par exemple permis de recueillir des informations essentielles pour les avancées spatiales et aéronautiques, telles que les réactions de l’organisme à des températures ou pressions extrêmes. Quant à Solar Impulse, l’aventure a mis en lumière les usages potentiels de l’énergie solaire. Nick Hayek, CEO du Swatch Group, déclarait à ce sujet que «les gens se préoccupent des ressources de cette planète. (…) C’est le plus grand luxe que nous ayons. Il est important de montrer l’exemple et d’investir dans les projets qui poussent les gens à changer leurs habitudes.»

L’histoire de l’horlogerie est intimement liée au progrès scientifique. «À l’origine, le garde-temps était un bijou que l’on possédait pour montrer sa richesse, rappelle Grégory Gardinetti. La précision de l’heure était mauvaise, la lire n’était qu’accessoire.» Mais tout a changé en 1675, avec l’invention du spiral plat par Christian Huygens (1629-1695). Cet élément contrôle les oscillations du balancier d’une montre et permet une plus grande précision. «La montre devient alors un instrument destiné à des applications scientifiques», explique l’historien.

L’implication de l’horlogerie dans les expéditions scientifiques remonte au temps des grandes explorations — avant même l’existence des marques –, selon Grégory Gardinetti. Le chronomètre de marine, inventé au XVIIIe siècle par le Britannique John Harrison (1693-1776), permettait de déterminer une heure de référence sur les bateaux. «À une époque où le colonialisme prenait son essor, le chronomètre de marine a fait l’effet d’une petite révolution dans la navigation maritime, note le spécialiste. Connaître l’heure précise permettait de déterminer la longitude et ainsi savoir où l’on se trouvait exactement.» Au XIXe siècle, les chronomètres sont également utilisés par les artilleurs, ingénieurs, médecins ou encore astronomes. «Grâce à la précision, la montre a alors une réelle utilité», remarque le spécialiste.

Missions polaires

Pas étonnant donc que les grandes marques se soient impliquées dans des expéditions scientifiques d’envergure. Longines tenait une place de choix dans la série de missions d’exploration de l’Arctique et de l’Antarctique entreprise par la France entre 1947 et 1976. Des géologues, météorologues, physiciens et biologistes ont emporté quelques chronomètres de bord Longines ainsi que 15 montres-bracelets — nécessaires à la détermination du point astronomique et donc de la position géographique — lorsqu’ils sont partis étudier les pôles. En l’honneur de ces expéditions, la marque édite d’ailleurs un garde-temps inspiré de celui qui a accompagné les scientifiques français, la Longines Expéditions Polaires Françaises — Missions Paul-Émile Victor. Elle possède une gravure sur le fond de son boîtier qui rappelle les deux missions polaires.

À la même époque, Jaeger-LeCoultre s’investit également sur ce créneau. En 1958, plusieurs organismes internationaux décident de partir à la découverte de régions encore inexplorées. Jaeger-LeCoultre crée spécialement pour les scientifiques le Chronomètre Geophysic, capable de résister aux champs magnétiques du pôle Nord jusqu’à une intensité de 600 gauss sans perdre de sa précision. «Initialement, Jaeger-LeCoultre n’a pas choisi de se diriger vers les expéditions polaires, explique Élisabeth Guerin, responsable des relations publiques pour la Suisse. Il s’avère que cela s’est fait naturellement, pour répondre à un besoin.» La manufacture horlogère a notamment offert le chronomètre à l’Américain William Anderson, capitaine du Nautilus, premier sous-marin nucléaire à naviguer en août 1958 sous la banquise arctique et le pôle. «Cette montre est devenue un symbole d’excellence horlogère qui a inspiré et influencé de nombreuses montres créées ultérieurement par Jaeger-LeCoultre», dit Élisabeth Guerin. En 2015, la marque a présenté une nouvelle collection de montres à seconde morte baptisées Geophysic.

Aujourd’hui, les périples sponsorisés par des marques horlogères diffèrent des plus anciens: «Les endroits dans lesquels s’aventurent les explorateurs sont connus, dit Grégory Gardinetti. Mais ils repoussent toujours plus les limites.» Et s’engagent le plus souvent pour des causes environnementales. Solar Impulse, soutenu par Omega, en est un exemple: la mission avait pour but de démontrer les potentiels de l’énergie solaire. Celles de l’explorateur helvético-sud-africain Mike Horn en est un autre. Son voyage autour du monde entre 2008 et 2012, nommé Pangaea, visait à mieux comprendre la crise climatique en cours. Panerai en était l’un des sponsors.

Changements climatiques

La marque horlogère a également soutenu d’autres expéditions de Mike Horn, notamment la mission Arktos (2002-2004) ou la North Pole Winter Expedition (2006). Le dernier projet en date de Mike Horn est baptisé Pole2Pole. Débuté en 2016, il s’agit d’une circumnavigation du globe en passant par les deux pôles. But affiché: mieux comprendre l’importance de l’environnement et la façon de le préserver.

Le changement climatique figure également parmi les préoccupations récurrentes des missions du biologiste marin et plongeur français Laurent Ballesta. Lors de ses expéditions à la recherche du cœlacanthe — un poisson légendaire proche des vertébrés terrestres qu’on croyait éteint depuis 70 millions d’années –, Laurent Ballesta portait une Blancpain X Fathoms. Dans une vidéo réalisée pour la marque, le biologiste dit utiliser le compte à rebours de cinq minutes lorsqu’il remonte à la surface: «Je m’autorise ces petites récréations pour photographier les créatures planctoniques lors de mes paliers de décompression.» Il apprécie aussi lire la profondeur à laquelle il se trouve de manière analogique: «La X Fathoms permet de visualiser sa vitesse de remontée ou de descente au défilement des aiguilles, ce que l’on ne peut pas faire sur un profondimètre électronique.»

Blancpain, à travers son programme «Ocean commitment», a accompagné Laurent Ballesta lors de ses trois expéditions. Celles-ci ont notamment contribué à dresser un inventaire de la faune en eaux profondes et à y constater les répercussions du changement climatique. En 2016, Blancpain a présenté une nouvelle édition de la Fifty Fathoms. La marque attribue 1’000 euros de chaque montre vendue au financement d’expéditions sous-marines.

Pour Alain Delamuraz, vice-président et Head of Marketing de la marque, qui s’est exprimé lors de l’inauguration d’une exposition à ce sujet à Zurich, il est important de «faire connaître au plus grand nombre d’entre nous l’importance des océans. Ces actions ont obtenu des résultats conséquents et permis de laisser des impacts réels.»

Destination Mars

Grégory Gardinetti, de la Fondation de la Haute Horlogerie, déplore que l’on ne se souvienne pas assez du rôle d’instrument de précision qu’a joué la montre: «Lors des premiers vols en avion par exemple, le garde-temps était le seul instrument à bord; il était donc indispensable.» Pourtant, l’histoire de ces montres est un élément essentiel qui explique leurs ventes, selon l’historien: «La plupart des gens n’utilisent pas les fonctions de ces garde-temps, ce sont des objets de collection. Mais ils sont attirés par les prouesses qu’elles ont réalisées à l’époque. Ça fait rêver.» Grégory Gardinetti y remarque un autre avantage pour les marques: «Voir de ses propres yeux ce à quoi une montre est capable de résister a plus d’impact sur le public que si la marque le dit sans preuves.»

Quelle sera la prochaine grande mission à laquelle les maisons horlogères prendront part? Peut-être bien celle qui enverra le premier être humain sur Mars. La NASA prévoit d’effectuer ce voyage dans quelques décennies. Et quelle marque aura la chance d’y participer? Aujourd’hui, l’Omega Speedmaster Professional reste la seule montre certifiée apte à être utilisée lors des sorties extra-véhiculaires par l’agence spatiale américaine. Elle séjourne régulièrement sur la Station spatiale internationale et a accompagné les astronautes américains dans toutes les missions spatiales habitées depuis 1965. La Speedmaster Professional est la première montre portée sur la Lune à l’occasion de l’alunissage d’Apollo 11 en 1969 — on la surnomme depuis la «Moonwatch».
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Une version de cet article est parue dans le magazine L.A Magazine (no 20).