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La civilisation de l’ironie

Le procès du conseiller national Jean-Luc Addor pour discrimination raciale l’a encore montré: personne ne semble plus capable de parler sereinement de l’islam.

Quelle première! L’inénarrable Me Bonnant n’avait jamais plaidé en Valais. C’est donc fait et bien fait. C’était à Sion, le lendemain de l’attentat de Manchester. Me Bonnant était dans son exercice favori: défendre l’indéfendable. Et même l’imbuvable, un comble au cœur du Vieux-Pays. A savoir le conseiller national UDC Jean-Luc Addor.

Vaudois d’origine mais Saviésan d’adoption, Addor, respecte l’adage voulant qu’il n’y ait pas pires fanatiques que les convertis. En comparaison, cet autre Saviésan d’adoption qu’est Oskar Freysinger ferait presque figure de tremblotant modéré.

On connaît la peccadille qui a conduit l’avocat et ancien juge d’instruction Addor du mauvais côté de la barre. Ce tweet à la manque, pour rester poli, dans lequel il avait salué à chaud une fusillade dans une mosquée saint-galloise qui avait fait une victime kosovare: «On en redemande».

Ceux qui en ont redemandé en tout cas, ce sont les militants qui se pressaient au tribunal, parmi lesquels ces phares de la pensée conservatrice romande que sont l’inspecteur Perrin et le sociologue Windisch. Et ils n’ont pas été déçus. On n’est jamais déçu par l’inénarrable Me Bonnant. Lui qui commence par dire à son client: «Laissez-moi perdre, vous méritez de devenir un martyr.»

C’était d’autant mieux vu qu’en matière de défaite, Addor serait plutôt du genre récidiviste. Il prend d’ailleurs son avocat au mot en invoquant l’ironie de ce «on en redemande» qui avait évidemment été compris tout de travers. Avant de préciser le fond de sa pensée, d’où, sauf erreur, toute ironie est absente: «J’en ai marre de ces étrangers qui viennent chez nous pour régler leurs comptes.» L’inénarrable Me Bonnant creuse pourtant ce grossier sillon: «Si les musulmans ne savent pas ce qu’est l’ironie, qu’ils l’apprennent!»

Les musulmans auraient bien du mérite à apprendre les subtilités de cette sorte d’ironie voulant que l’on se réjouisse des conséquences électorales prometteuses d’une fusillade, ce qui était bien le sens limpide du gazouillis addorien. Le procureur, lui, s’énerve et parle de «cirque». Et il a raison. Sauf que les clowns étaient apparemment des deux côtés. C’est une farce en effet plus qu’un procès qui s’est déroulé à Sion.

Parmi les plaignants d’abord, on note la présence du très sympathique Conseil central islamique suisse du très modéré et infiniment tolérant Nicolas Blanchot: farce. D’autant que la plainte était inutile, la discrimination raciale dont est accusé Addor se poursuivant d’office (article 261 bis du code pénal.)

Jean-Luc Addor twitte que «l’islam est une saloperie soutenue par des salauds traîtres et collabos»: farce. Farce délirante et complotiste, du sable jeté au vent, diatribe peu digne si ce n’est d’un avocat, du moins d’un élu respectant la simple raison.

Le procureur affirme que «Jean-Luc Addor fait l’amalgame entre l’islam et le terrorisme»: farce. Farce usée jusqu’à la corde, inaudible au milieu des explosions et des tirs de kalach, spécialement le lendemain de l’attentat de Manchester.

L’inénarrable Me Bonnant assène que «l’islamophobie est non seulement légitime, mais que c’est le devoir de toute intelligence structurée dans notre civilisation judéo-chrétienne»: farce. Réelle ou fantasmée à dessein, l’islamophobie, étant une phobie, ne saurait relever, comme toute autre émotion, ni de la légitimité ni d’un quelconque devoir. Et encore moins d’une prétendue civilisation. Surtout s’il s’agit de la civilisation de l’ironie.