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Sainte Vierge!

Ou comment une querelle de clocher en terre lausannoise peut révéler d’immenses vérités théologiques et politiques.

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De Clochemerle peuvent surgir de grandes vérités. Voyez la cathédrale de Lausanne et ce que les médias appellent désormais, avec la retenue qui les caractérise, «la Vierge de la discorde». Un trou dans le porche d’entrée qu’un architecte naïf avait placé là, lors de la rénovation du bâtiment à la fin du XIXe siècle, dans l’intention d’y installer une statue de la Vierge. En plein pays protestant! Inutile de dire que le trou est resté un trou et que le vide y règne depuis en maître et seigneur.

Mais voici la première grande leçon de cette petite histoire: rien de moins éternel que les convictions religieuses. Une nouvelle rénovation à l’occasion des 500 ans de la Réforme relance en effet le débat. Le trou est toujours là mais les tabous semblent s’être évaporés plus rapidement que les moisissures dans la pierre. Les propositions, comme le raconte le quotidien Le Temps, affluent, en forme d’hommage aux nouveaux dieux.

C’est d’abord le président du Conseil synodal de l’Eglise évangélique réformée vaudoise qui propose de placer dans cette béance rien d’autre qu’un miroir. Comme pour saluer le Narcisse contemporain, l’idole couverte de mille cajoleries et de tous les encens: sa majesté l’individu, sa seigneurie l’égo, consacré roi du monde par les temps qui courent en rond autour de lui. L’homme devenu un veau pour l’homme. Un veau d’or, mais un veau quand même, qui s’autovénère à coups de selfies.

Bien sûr, le président du Conseil synodal ne peut pas le dire comme ça, ne peut pas concéder explicitement une défaite aussi sonnante du divin face à l’humain. Alors il évoque une manière d’«interpeller le visiteur. Quelle place souhaite-t-il prendre parmi les témoins d’Evangile?»

Une autre proposition émane du préposé aux affaires religieuses du gouvernement vaudois. Lequel prône de laisser les choses en l’état, d’offrir donc le vide comme message subliminal, érigé en un symbole dont chacun appréciera la portée: vide dans les têtes, vide des croyances, vide des emplois du temps, vide des cœurs, à choix.

Là aussi la parole officielle emprunte des chemins de traverse pour ne pas dire les choses et faire semblant de les dire: «Le fait même qu’il n’y ait rien est en soi une décision historique qui parle des Vaudois protestants et de la Cathédrale.»

La troisième proposition préconise de franchir le Rubicon et d’installer donc dans la place vide l’objet du scandale: une statue de la Vierge. Avant la Réforme, la cathédrale ne s’appelait-elle pas Notre-Dame?

La vérité, c’est que, désormais, le canton de Vaud n’est plus un lieu où les protestants sont majoritaires, mais où l’émigration a donné la force du nombre aux catholiques. En attendant sans doute qu’eux mêmes soient supplantés par des paroissiens d’un tout autre genre.

Ce qui prouve cette évidence: qu’aucune terre n’est par définition et jusqu’à la fin des temps catholique, protestante bouddhiste, musulmane, ou dieu sait quoi. Que la vérité est dans la démographie, nulle part ailleurs. Que les croyances passent, pas les croyants.

C’est ce que rappelait encore il y a peu notre ami Erdogan, suggérant aux femmes turques émigrées en Europe de faire non pas trois, mais cinq enfants.

N’empêche: ceux qui soutiennent ce retour de la Vierge devant la cathédrale de Lausanne le font, eux aussi, à travers un discours des plus louvoyants. C’est ainsi que l’ancien député Jacques-André Haury parle «d’un geste œcuménique rapprochant les chrétiens de toutes confessions, sans dissimuler l’intervention de la Réforme». Ce qu’on appelle la langue de buis.