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Sans peur, mais avec reproche

La Suisse ne craint ni Erdogan, ni le djihadisme. Ses angoisses sont ailleurs, et plus profondément enfouies.

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Qu’on se le dise: la Suisse, la petite Suisse, n’a peur de rien. Contrairement aux couards étasuniens ou britanniques, elle n’interdira pas les ordinateurs et autres tablettes à bord de ses avions arrivant de certains pays arabes et de la Turquie.

Les risques d’attentats terroristes que ces appareils, comme c’est arrivé déjà, peuvent permettre de fomenter? Attendons de voir, il n’y a pas le feu au lac ni au cockpit, semble dire l’Office fédéral de l’aviation, qui promet à demi-mot d’y repenser, un jour, peut-être, et même éventuellement bientôt: «A court terme, on peut penser à un renforcement des contrôles d’aéroports que l’on connaît, notamment du matériel électronique.» Bref, on ne fait rien mais on garde un demi-œil ouvert, au cas où. «Il s’agit d’examiner en continu nos mesures de sécurité et de les adapter si nécessaire.»

Sauf que la nécessité, dans cette façon de voir, n’apparaît qu’après l’irréparable. La perspective d’un ordinateur piégé à bord d’un avion de Swiss? Laissons donc ces fantasmagories aux paranoïaques anglo-saxons. Trump n’est-il pas fou, comme on nous le répète à longueur de lignes et d’antennes? Et Theresa May ne souffre-t-elle pas d’un trouble mental incurable appelé brexitisme aigu?

Un tel courage, en plus, n’est pas isolé. Le Tribunal fédéral (TF) ne se laisse pas davantage impressionner par des broutilles, ni par les premiers croquemitaines venus. Lui qui vient d’accepter le recours de deux Irakiens condamnés par une autre instance, le Tribunal pénal fédéral (TPF), à quatre ans et huit mois de prison pour participation à l’organisation «Etat islamique». Peine trop lourde, tranche le TF.

Surtout que, contrairement à ce qu’avait décrété le TPF, le fait «d’avoir abusé de l’hospitalité de la Suisse», ne semble pas constituer juridiquement un «facteur aggravant». Daesh? Même pas peur! Laissez venir à nous les petits djihadistes.

Ce n’est pas non plus le satrape ottoman Erdogan qui réussira à faire trembler la valeureuse Confédération. L’intrépide ministre des affaires étrangères Burkhalter n’a-t-il pas invoqué, sans la moindre once de stress dans la voix, la «liberté d’expression» pour laisser le président turc envoyer ses séides prêcher la bonne cause sur territoire suisse?

Des voix se sont certes élevées pour réclamer l’application d’une loi votée en 1948 interdisant aux leaders étrangers toute manifestation politique dans la Confédération. Mais bon, elles émanaient surtout des lavettes de l’UDC. Droit dans ses bottes vernies, le Conseil fédéral a, lui, qualifié la loi d’«obsolète et anticonstitutionnelle».

Il est vrai qu’elle avait été conçue en pleine guerre froide et visait surtout à clouer le bec aux propagandistes communistes. Qui étaient de véritables méchants, eux. Imaginez ça, des types qui passaient leurs journées à se balader avec un couteau entre les dents.

Bref on l’a dit, la Suisse n’a peur de rien. Enfin, de presque rien: une menace réussit tout de même à la faire claquer des dents. Cette peur arrive du tréfonds des âges, et c’est celle du loup. Quelques dizaines de moutons égorgés? Aussitôt une autorisation de tir est délivrée dans les cantons, comme cela vient d’être fait pour le Tessin et les Grisons, après le Valais. Feu sur la bête, ce loup en passe de remplacer, dans le rôle de l’épouvantail, les vieilles meutes bolchéviques d’autrefois.