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Le syndrome de l’arrosoir

Le parlement a validé «Prévoyance 2020», la réforme des retraites pilotée par Alain Berset. Contre une droite redevenue très, et sans doute trop idéologique.

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Une voix. La réforme des retraites voulue par Alain Berset s’est donc jouée à une voix près. La faute à 70 francs. On veut parler bien sûr de ces satanés 70 francs de bonus pour l’AVS, censés compenser la baisse du deuxième pilier provoquée par l’opération du saint taux de conversion, qui devrait assécher nos rentes de 12%.

Un susucre imaginé par le PS et le PDC pour mieux faire passer la réforme intitulée «Prévoyance 2020». Sauf que la gâterie a fortement déplu aux pères-la-rigueur radicaux et UDC qui ont vu dans ces 70 francs une fortune. Un gaspillage sans nom. Une prodigalité innommable.

Bref la droite, la vraie, celle qui s’assume, comme elle aime à dire, a freiné de tous les fers qu’elle a pu. Quitte à jeter le paquet entier aux oubliettes.

Pas grave, estimaient certains caciques radicaux: la réforme pouvait bien attendre encore un peu. Une position plutôt audacieuse avec en point de mire un déficit de 30 milliards pour l’AVS à l’horizon 2030, un allongement de la durée de la vie constant, et des caisses de pension durement impactées par les yo-yo financiers.

A noter qu’une des autres conséquences de «Prévoyance 2020» sera de faire passer l’âge de la retraite pour les femmes de 64 à 65 ans. On aurait pu croire que c’est ce point-là qui focaliserait les débats, attiserait les rancœurs, dresserait les ergots des uns contre les plumes des autres. Mais non, le vrai casus belli, la mère de toutes les batailles, ce furent les 70 balles.

Une nouvelle preuve qu’en politique, les grands principes, surtout s’ils sont d’ordre comptable, priment sur tout. Y compris et surtout la réalité et le pragmatisme. Pour l’homme de droite, le vrai, celui qui s’assume, comme il aime à dire, l’objet le plus répulsif du monde, c’est en effet l’arrosoir. Toute dépense publique, toute subvention qui concerne l’ensemble de la population est aussitôt affublée de cet infamant qualificatif: arrosoir.

Ces 70 francs généralisés à toutes les rentes constituaient, ainsi que l’a expliqué le radical tessinois Ignazio Cassis, un véritable chiffon rouge à ne pas franchir, comme aurait dit le maire de Champignac: «Nous avons fait plusieurs propositions pour limiter ce bonus à ceux qui en ont le plus besoin. En vain. A ce stade, le débat ne devient plus rationnel. Il s’agit d’une lutte de pouvoir.»

L’UDC Alex Kuprecht a lui aussi fustigé ce vilain «principe de l’arrosoir» tandis que la radicale saint-galloise Karin Keller-Sutter s’est fendue d’un viril «pas question d’accepter une réforme à tout prix». Tant pis si le tout prix en question se chiffrait à 70 francs par tête (chenue) de pipe.

L’affaire a tourné au bras de fer entre le Conseil des Etats, favorable à l’arrosoir, et le Conseil national, opposé. Les sénateurs, pour amadouer leurs collègues du National ont concédé, en échange des 70 francs, une augmentation de la TVA pour financer la réforme réduite de 1 à 0,6%.

Pas encore suffisant pour convaincre les «arrosoirophobes». Il a fallu la volte-face des Verts’libéraux, dont tout le monde avait à peu près oublié l’existence depuis le joli costard que les électeurs leur avaient taillé en octobre 2015, ramenant leur nombre à 7.

Et encore, ils se sont bien fait tirer les oreilles, les Verts libéraux. Ces 70 francs, ils les avaient eux aussi dans le collimateur, avec toujours le même argument fatal, dénonçant, comme Isabelle Chevalley, un «système d’arrosage».

Au final, après 170 heures de débats, tout est bien qui finit bien. En attendant que l’arrosé, le peuple, se prononce, avec, on l’imagine, moins de grands principes mesquins dans la tête.

Pour être vraiment complet, ajoutons que l’arrosoir, comme n’importe quel bon dictionnaire nous l’apprend, c’est aussi «un mollusque bivalve enfoui dans la vase littorale».