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Doris la malice

Plus Leuthard que jamais: après dix ans au Conseil fédéral, la nouvelle présidente de la Confédération dispose d’une popularité intacte auprès du public et des médias. Dans le microcosme politique, c’est un autre son de cloche.

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Tiens, Doris Leuthard est élue présidente de la Confédération. Mais d’où vient cette impression tenace qu’elle l’était déjà, et depuis longtemps? On n’ose croire que la grisaille de ses collègues ministres y soit pour quelque chose.

En voilà en tout cas une femme agaçante, qui fait toujours tout juste. Même quand elle fait tout faux. S’affiche-t-elle sur des produits de douche lors de sa première campagne électorale, en 1999? Elle est élue triomphalement au Conseil national, puis quasi dans la foulée à la tête du PDC et presqu’aussi immédiatement, en 2006, au Conseil fédéral.

Même sens du contre-pied mortel avec l’atome. Accident de Fukushima? Facile, dans les heures qui suivent, ou pas loin, la cheffe du département de l’énergie décrète la sortie du nucléaire. Avant de laisser les esprits se refroidir en même temps que les réacteurs, et de concocter une diabolique sortie sans sortir, contre laquelle les Verts viennent de se casser les dents.

C’est au point que les médias n’en ont que pour elle: s’agissant de saluer cette deuxième accession à la présidence de la Confédération, les encensoirs étaient de rigueur et se sont bruyamment entrechoqués. «Chez elle, pas la moindre usure du pouvoir. Au contraire, elle semble y puiser une incroyable énergie.» Mieux encore: «Sa forte personnalité, son charme et son humour font d’elle un leader d’opinion.» N’en jetez plus, sainte Doris pourrait finir martyre, étouffée sous les fleurs.

Au début, au département de l’Economie, quand même elle a ramé, l’Argovienne: des paysans en colère lui jettent des bottes à la figure. Même pas mal: la conseillère est protégée par les parapluies de ses gardes du corps. Car oui, il semble bien que même le ciel soit avec cette femme-là.

Mais une fois au DETEC, plus une anicroche. Voici Doris reine inamovible des sondages de popularité. Adulée du public sans doute, mais un peu moins goûtée par ceux qui ont le privilège de la côtoyer de près. «Elle n’hésite pas à vous ridiculiser en public», se lamente une élue de ce parti qui a fait des bonnes manières, comme chacun sait, sa marque de fabrique: l’UDC. «Il vaut mieux être de son côté», avance prudemment un autre. Les radicaux ne sont pas plus aimables. «Chez Doris Leuthard, il y a beaucoup d’effets d’annonce, de marketing, mais pas toujours le contenu qui va avec.» Paroles d’experts.

Disons que Doris Leuthard, c’est surtout une faculté d’adaptation et à nouer des alliances au-dessus de la moyenne. Cette Machiavel en escarpins, urbaine dans un parti de montagnards, peut jouer la droite contre la gauche et l’inverse le lendemain, suivant l’objet à défendre. Qu’importe, la magie continue d’opérer, et les trompettes de sonner clair: «Doris Leuthard, c’est aussi un sourire toujours vissé au visage et une popularité au plus haut, bref une diplomatie par le charme.» Elle qui, bien sûr, «sait défendre ses positions avec charme, humour et tempérament».

Le charme et l’humour: ils n’ont que ces mots-là à la bouche. Voyons un peu. L’humour? Sans doute, quoique d’un genre un brin particulier, comme lorsqu’elle apostrophe le parlement en plein débat sur le loup: «Vous pourrez peut-être l’éviter si vous supprimez la nature, mais c’est comme ça: les animaux mangent des animaux.» Merci pour cette contribution.

Quant au charme et au sourire permanent, ça peut se discuter. Le secret de Doris Leuthard, c’est peut-être bien de n’être pas celle qu’on pense. Heureusement que son camarade de parti et élu valaisan au Conseil national Yannick Buttet consent enfin à révéler l’horrible vérité: «C’est un bulldozer.»