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Le syndrome du sac à commissions

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Sale temps pour les élites. Haro. C’est la faute de Donald. Tout ça parce qu’un malheureux populiste, seul parmi les dizaines de spécimens tonitruants que compte désormais l’espèce, a réussi à décrocher le gros Graal et le saint lot.

Du coup, par la seule magie d’un seul séisme arrivé un certain 8 novembre, c’est tout le discours anti-élite — cher aux brexiteurs excités, aux lepénistes incontinents, aux agrariens déchaînés de chez nous — qui se trouverait validé et plutôt cent fois qu’une. A jamais.

«On a tous l’air con» résume justement et sobrement dans l’Hebdo, journal de l’élite, l’humoriste, élitaire bien sûr, Thomas Wiesel. Car oui, la majorité des humoristes en sont. Comme la plupart des journalistes, des enseignants, des sachants et des politiciens qui ne naviguent pas à droite de tribord. Des élites. Pouah. Caca.
 Sauf que ce bel élan populaire rivant son clou aux élites, cela finit par agacer. Par tourner à la rengaine, à force d’être répété, braillé sur tous les tons. Au point que certains n’en peuvent plus.

Enfin, surtout la crème de la crème élitaire: les bobos, qui souffrent comme jamais. Allô maman. Qu’ils soient plus ou moins de droite, comme Fathi Derder, ou à peu près de gauche, comme Christian Levrat. Assez, c’est assez.

Derder ainsi le dit tout net dans une chronique du Temps, le quotidien de l’élite référentielle: «C’est le principe de base du populisme: dénoncer un système dont on se nourrit.» Passe encore pour Trump ou la Marine, qui eux se meuvent dans des pays odieusement et réellement élitaires, le royaume de France et l’Empire of America.

Mais pas en Suisse. Non, non, non. Car chez nous, c’est bien connu, les élites, ça n’existe pas. Nous évoluons, nous, peuple bienheureux «à mille lieues des incestueux clans clintoniens ou des énarques français, qui pensent acheter un pain au chocolat à 10 ou 15 centimes».

Alors quand un Blocher ou un Pierre-Yves Maillard se piquent de jouer contre le peuple contre les élites, le sang de Fathi ne fait qu’un tour: «Depuis vingt-cinq ans, l’un et l’autre ont contribué, à leur manière, à la création d’une nouvelle génération de politiciens professionnels. Une caste. Qui vit entre elle, et se coupe peu à peu du monde réel.»

Bref, la seule la vraie élite en Suisse serait celle qui passe son temps à dénoncer les élites. Dans un pays quand même où, Derder le rappelle, lui-même, conseiller national radical vaudois, ce qui n’est pas tout à fait rien, un jour de l’an dernier est allé jusqu’à, tenez-vous bien, faire ses «courses dans un supermarché bernois, en fin de journée, à côté de la présidente de la Confédération». Résumons: les élites poussent leur chariot comme les autres et vous disent crotte.

Levrat maintenant. Son camarade Maillard a beau les vilipender, ces fameuses élite, lui, Levrat, président du PS, cow-boy de la Tour-de-Trême, les a vues, comme observateur de l’OCDE dans le Montana, s’effondrer sous ses yeux. Quelle conclusion en tire-t-il? Simple: «Cette idée d’élite est un contresens. C’est une formule de l’extrême droite, pour désigner ceux qui ne pensent pas comme elle.»

En gros Christian Levrat pense comme Fathi Derder: les élites, ça n’existe pas. En tout cas sûrement pas chez nous. Levrat en a la preuve, définitive, lumineuse. La même, tiens, exactement, que celle brandie par Fathi Derder: «En Suisse, il n’y a pas de classe politique fermée, de véritable élite à la française: les élus prennent le bus et font leurs courses à la Migros et à la Coop.»

Bon sang mais c’est bien sûr. Seule entre toutes les nations, la Suisse a su se préserver des élites. Chez nous, la grande révolution, le grand coup de sac mettant à bas les orgueilleux, réalisant l’égalité sur terre parmi les hommes de bonne volonté, a eu lieu depuis longtemps. Qu’il s’agisse d’un sac à commissions ne change rien à l’affaire.