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Une Berne atomique

Entre prophètes de l’apocalypse, matamores de la fission et mous du genou, le débat sur la sortie du nucléaire bat son plein. Trois camps et deux votes à l’horizon. Revue des troupes.

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Le nucléaire, ça a toujours été chaud. Et pas qu’à Tchernobyl ou Fukushima. Chez nous, ça pète de tous les côtés, spécialement dans cette enceinte atomique qu’est la Berne fédérale. Surtout que trois camps s’affrontent et qu’il faudra donc voter, probablement, deux fois, pour éviter la fission.

Le premier groupe, de teinte verte et rouge, juge qu’après les lourdes mésaventures soviétiques et nippones, il faudrait être cinglé pour ne pas tout arrêter. Et tout de suite, s’il vous plaît. Ce sera donc l’objet du premier vote, le 27 novembre, sur cette initiative des Verts dictant le rythme d’une sortie illico presto du nucléaire, avec extinction de la dernière centrale en 2029. Quand écologistes et socialistes parlent du nucléaire, ils ne font pas dans la nuance, évoquent une menace mortelle assortie d’un gouffre financier. Inutile de contre-argumenter, d’entamer la moindre discussion. Chez ces gens-là la cause du nucléaire est entendue, et depuis toujours.

Le deuxième camp, celui des conscients mais réalistes, des prudents mais responsables, est incarné par l’inébranlable Doris Leuthard et sa Stratégie 2050. Ces antinucléaires-là ont mille et unes raisons coulées dans le béton pour alimenter les «oui, mais…» et retarder l’échéance, au point de ne plus fixer d’échéance du tout. Dans un discours qui rappelle un peu les sketches de Bernard Haller: le condamné à mort aura la tête tranchée, mais… Le nucléaire c’est nul, c’est vieux, c’est cher et très, très dangereux, mais…

Mais, en gros, une centrale nucléaire ça ne se ferme pas en un claquement de doigt. En tirant la prise trop tôt, on risque de faire sauter les plombs. Cela mettrait les exploitants dans une panade noire et les inciterait à se retourner contre la Confédération pour obtenir de fracassantes indemnisations. Et puis les énergies de substitution ne sont pas prêtes à prendre le relais. Il faudrait ressortir les centrales à charbon, importer du courant et, horreur de toutes les horreurs, dépendre ainsi de l’étranger. Et ça pour un pays comme la Suisse, c’est la faute absolue, le péché de chez mortel.

Il faut donc y aller progressivement, laisser le marché éteindre gentiment, à son rythme, un nucléaire pas trop rentable et développer, là aussi piano piano, l’éolien, le solaire, toutes ces jolies choses bien sympathiques, certes, mais encore bien folkloriques lorsqu’il s’agit de produire de l’énergie, de la vraie. Donc, patience. Doris Leuthard brandit ainsi un argument des plus curieux: «Il faut se laisser le temps nécessaire. Les centrales doivent fonctionner tant qu’elles sont sûres». Ce qui revient plus ou moins à fixer l’accident comme date butoir de sortie du nucléaire.

Mais ce n’est pas encore assez pour le troisième camp, celui des mêmes pas peur, des énamourés de l’atome, regroupant pour l’essentiel les UDC et un certain nombre de radicaux. Ceux-là jugent qu’il est présomptueux et prématuré de condamner le nucléaire, même par principe, même du bout des lèvres.

Blocher himself est sorti de son hibernation pour lancer la révolte et promettre un référendum contre Stratégie 2050. Le vieil homme amer est soutenu par toute une cohorte de machins Swiss: Swissmem (industrie des machines), GastroSuisse, Swiss Plastics, Swissoil, ainsi l’Association suisse des transports routiers (Astag), Auto-Suisse, la Ligue des contribuables, l’Action pour une politique énergétique raisonnable (AVES). On annonce même le ralliement prochain et éventuel de Swissmechanic, c’est dire.

Albert Rösti, président de l’UDC et de l’AVES, le crache tout cru: Stratégie 2050 «n’est ni sûr, ni économique, ni écologique et nécessitera l’importation de courant étranger produit à l’aide de charbon ou de nucléaire français».

Du nucléaire français! Autant, c’est vrai, risquer l’apocalypse.