- Largeur.com - https://largeur.com -

La littérature scientifique en libre accès

Des chercheurs veulent mettre fin aux modèles payants des maisons d’édition traditionnelles. L’Union européenne soutient la démarche.

img_du_jour_12_oct_1.jpg

«Les discussions sur le libre accès à la littérature scientifique sont closes. Nous allons pouvoir passer à la pratique grâce à ces accords», se réjouissait, fin mai, Sander Dekker, le ministre néerlandais de la Recherche, à Bruxelles. Avec ses homologues européens, ils ont unanimement décidé que toutes les publications scientifiques sur les résultats de la recherche financée par des fonds publics en Europe seront librement accessibles sur internet dès 2020. Une décision qui sonne donc le glas des abonnements aux revues scientifiques. Chacun, du spécialiste à Monsieur Tout-le-monde, pourra télécharger des résultats de recherche en un clic et gratuitement.

Soutenue par de nombreux universitaires, décideurs et documentalistes depuis plus de dix ans, l’idée du libre accès a gagné du terrain récemment. Un engouement qui s’expliquerait par les opportunités qu’offre internet et par la colère provoquée par les profits toujours plus grands accumulés par les maisons d’édition traditionnelles. Les chercheurs veulent en finir avec les systèmes payants qui limitent l’accès à leurs travaux.

Pour Ralf Schimmer, sociologue au sein de la ordinare cialis online à Munich, tous les travaux ne seront pas publiés en libre accès dès 2020, mais cette date marquera un «point de non-retour»: le libre accès de l’ensemble de la littérature scientifique deviendra inévitable.

La fin de la maison d’édition «toute puissante»

En 2007, les neuroscientifiques Henry et Kamila Markram de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne fondaient Frontiers, l’une des sociétés majeures d’édition de journaux scientifiques exclusivement en libre accès. Kamila Markram explique qu’ils ont été motivés par les nombreux refus de publication de la part de journaux prestigieux pour des articles pourtant validés et souvent cités. Ces «refus en cascade» font perdre un temps précieux aux scientifiques et pèsent sur l’économie, dit la neuroscientifique.

Frontiers ne recourt à l’évaluation par les pairs que pour valider la qualité technique des travaux. Leur importance n’est mesurée qu’après publication via des métriques quantitatives, comme le nombre de fois où un article a été téléchargé, cité ou mentionné sur Twitter. D’après Kamila Markram, cela règle le problème de la subjectivité des réviseurs, parfois à l’origine du rejet de travaux fondés, voire novateurs. «Nous sommes très loin de la maison d’édition toute-puissante», affirme-t-elle.

L’initiative cialis private prescription charges (Sponsoring Consortium for Open Access Publishing in Particle Physics) propose, quant à elle, des solutions pour appliquer le modèle du libre accès à l’ensemble du domaine de la physique des particules. Les chercheurs financent la publication de leurs articles en puisant dans les fonds des bibliothèques universitaires habituellement dédiés aux abonnements. Ce projet mené par le CERN à Genève et soutenu par quelque 3’000 bibliothèques, organismes de financement et centres de recherche, a été lancé en 2014 et se poursuivra jusqu’à fin 2019. Il compte huit journaux partenaires, mais un grand absent: la revue la plus influente du domaine, Physical Review D, publié par l’American Physical Society.

Cette initiative fait toutefois encore figure d’exception dans la communauté scientifique. Seuls 13% des articles publiés dans des revues scientifiques sont accessibles librement. Ralf Schimmer indique que certains documentalistes redoutent de voir leurs coûts augmenter avec le libre accès, une hypothèse pourtant improbable à en croire une étude qu’il a réalisée l’an dernier avec deux collègues de la Max Planck Digital Library. Avec 8 milliards d’euros dépensés chaque année dans les abonnements pour quelques deux millions de travaux publiés, un article coûte en moyenne 4’000 euros, soit environ le double d’un article en libre accès.

Ralf Schimmer estime pourtant qu’il est encore possible pour les «sociétés privées d’exercer et de réaliser des profits légitimes». Il tient à maintenir l’évaluation des pairs et toute forme de contrôle qualité au cœur du processus de publication. Bien que les physiciens mettent en ligne leurs articles avant leur publication sur le serveur libre d’accès arXiv, ils n’ont pas pour autant abandonné les revues à comité de lecture, fait-il remarquer.

Modèle commercial à revoir

Les maisons d’édition doivent revoir leur modèle commercial, juge Ralf Schimmer: plutôt que de pratiquer des tarifs opaques pour la consultation des travaux, elles devraient faire payer les auteurs ou leur institution pour chaque article publié. Un avis que ne partagent pas les maisons d’édition traditionnelles. Nature Publishing Group publie des travaux en libre accès et autorise les auteurs à archiver leurs articles en ligne pendant six mois après la publication. Pourtant, en 2011, l’éditeur affirmait qu’on ne pouvait pas adopter une approche uniforme. Si le libre accès convient mieux aux plus petites revues, les abonnements restent, d’après lui, la meilleure solution pour les journaux plus renommés, le coût plus élevé par article (en raison des taux d’acceptation plus faibles) pouvant être réparti entre les lecteurs, plus nombreux.

Certains chercheurs craignent qu’en faisant payer les auteurs, la qualité baisse, les sociétés d’édition en libre accès pouvant être tentées d’accepter davantage d’articles pour gagner plus d’argent. Frontiers a d’ailleurs été critiquée pour rejeter très peu de travaux, quelle que soit leur qualité. Kamila Markram se défend en précisant que le fait de publier plus d’articles a permis à l’éditeur d’augmenter son facteur d’impact (nombre moyen de citations par article).

Ralf Schimmer considère que même les revues les plus prestigieuses comme Nature ou Science pourraient opter pour le libre accès. Les coûts élevés par article seraient atténués par ceux, réduits, des autres journaux et de nombreux scientifiques seraient prêts à mettre la main au porte-monnaie pour être publiés dans des revues d’une telle renommée. Mais le temps presse. «Si les maisons d’édition refusent de s’adapter, elles y seront contraintes, soutient Ralf Schimmer. Les jeunes n’accepteront pas un système aussi ridicule et désuet.»
_______

Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist (no 10).

Pour souscrire un abonnement à Technologist au prix de CHF 45.- (42 euros) pour 8 numéros, rendez-vous sur technologist.eu.