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Le «Do It Yourself» investit la cuisine

Après la culture des légumes et l’élevage des poules aux soins rébarbatifs, place à la confection du pain maison. Au levain, naturellement.

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«En août, nous avons été les gardiens du levain de notre fils. Ses enfants n’ont plus besoin de nous, le chat est mort. Voilà que nous héritons d’une nouvelle tâche pendant ses absences», expliquent Estelle et Thierry. Parents d’un fils devenu boulanger amateur, ils ont accepté d’entretenir son précieux levain.

Autour de la table, chacun connaît quelqu’un qui s’est mis récemment à faire son pain. Le fils d’Estelle et de Thierry n’est donc pas un électron libre. Il capte l’air du temps. Recevoir ses amis dans un appartement imprégné de l’exquise odeur du pain sorti du four, ça en jette. Après la fierté d’apprêter les légumes récoltés dans son mini potager ou les œufs frais pondus par les deux poules sur le balcon, il convient aujourd’hui de mettre la main à la pâte.

Très en vogue en 2014 et 2015, les jardins et poulaillers urbains suscitent moins d’enthousiasme en 2016. Bien que réputés pour leur nécessité pauvre en soins, les lopins de terre doivent quand même être sarclés et arrosés, les poulaillers nettoyés des excréments et les poules nourries: autant de tâches vite rébarbatives.

Rien de tel avec la confection d’un pain dont on se délectera. Désormais ce ne sont plus les seules mains des femmes qui sont belles dans la farine, comme le chantait Nougaro. Après les grillades, bastions masculins par excellence, ces messieurs aiment se muer en maîtres boulangers. Mais pas question pour eux de faire appel aux appareils électroménagers qui ravissaient leurs mères et grands-mères. Leurs mains découvrent l’acte éminemment sensuel qu’est le pétrissage d’une masse vivante. Ils en font notamment l’expérience grâce à l’ouvrage «Le Pain, de la terre à la table» de Christophe Vasseur, dont le «Pain des amis» est servi aux meilleures tables de Paris: «Il y a une part d’invisible que ceux qui regardent ne comprennent pas. Faire du pain, c’est apprivoiser un animal sauvage.»

Les levures industrielles sont naturellement proscrites. Place au sacrosaint levain (parabole biblique du levain) qui grandit, se développe, doit être soigné et alimenté très régulièrement. De la farine, de l’eau, de petites attentions et le temps qui fait son œuvre: c’est tout ce qu’il faut pour créer son levain avec amour. «Il vous le rendra bien, en vous offrant de beaux pains maison nutritifs et savoureux, à la croûte craquante et à la mie alvéolée», lit-on dans un des nombreux ouvrages sur les secrets de fabrication et d’utilisation de cet ingrédient un peu magique.

Une magie qui ne saurait retomber, faute de soins. Les bactéries qui contribuent à dégrader le gluten (ce nouvel ennemi!) et assurent la fermentation doivent se renouveler. A Stockholm, des professionnels prodiguent ces soins. Les Suédois disposent d’un «baby-sitter» pour levain qui veille quotidiennement sur cette matière fragile. Ils partent ainsi en vacances la conscience tranquille, sans solliciter leurs proches. Pour 2,70 euros par jour, la boulangerie «RC Chocolat» s’occupe du levain des voyageurs qui peuvent déposer leur protégé dans une boutique située dans l’aéroport Arlanda (Terminal 5). «Les citadins entre 30 et 50 ans, à l’aise avec la technologie, représentent une grande proportion de ma clientèle», explique Joakim Blomqvist, un des propriétaires de l’entreprise, qui ajoute: «les gens aiment avoir leur propre levain. Vous devenez un peu obsédé.»

Cette résurgence de la boulangerie au levain est-elle un nouveau hobby tendance pour bobos en mal de retour à des pratiques ancestrales, un souci d’alimentation de proximité, une retombée des mouvements Do-it-Yourself ou un acte de résistance face à l’industrie agro-alimentaire et à la mal bouffe?

Le bonheur est dans le levain, les auteurs des sites «faire son pain au levain» qui pullulent sur le web en sont convaincus. Quant à l’abondante littérature qui accompagne cette pratique, elle partage cette même conviction. Et puis, en feuilletant «L’Histoire du pain» de Steven Kaplan, on relève ce commentaire concernant la France: «Un pays qui fait un si bon pain ne peut pas vraiment être mauvais». N’en pense-t-on pas autant de celui ou celle qui confectionne son pain au levain?