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«Nous devons trouver des outils de régulation, ou alors le système explosera»

Pierre-Yves Maillard analyse la hausse continue des primes de l’assurance de base. Un de ses antidotes: fixer une enveloppe maximum de prestations pour les médecins spécialistes.

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Le débat sur les dépenses de santé est plus que jamais ouvert à Berne. Alors que les partenaires tarifaires (assureurs, hôpitaux et médecins) cherchent à trouver un accord sur le nouveau système de tarification médicale Tarmed, les parlementaires débattent de l’initiative «Rétablir la paix des tarifs». Plusieurs députés UDC, PDC et PLR demandent en effet qu’en cas de désaccord sur les tarifs, des tribunaux arbitraux institués par les partenaires eux-mêmes tranchent et non les pouvoirs publics comme cela est prévu aujourd’hui. Une hérésie pour Pierre-Yves Maillard, chef du Département de la santé et de l’action sociale dans le canton de Vaud, qui estime au contraire que, de manière générale, seul un rôle accru de la Confédération et des cantons pourra freiner l’augmentation des coûts.

Les coûts de la santé ont de nouveau augmenté de 2,8% en 2014, selon les chiffres publiés par l’Office fédéral de la statistique en avril dernier. Comment l’expliquez-vous?
Pour comprendre cette nouvelle hausse, il faut remonter dans le temps, à la révision de la loi sur l’assurance-maladie de 2012. Sur les quatre années qui ont précédé cette réforme, de 2008 à 2011, la hausse cumulée des coûts de la santé était d’environ 10%. Puis, entre 2012 et 2015, elle est passée à 15% environ. Cette croissance cumulée des coûts s’est traduite d’abord par un milliard de francs supplémentaire à la charge de l’assurance-maladie de base (LAMal). A cause de la levée du moratoire sur l’ouverture de nouveaux cabinets qui a duré dix-huit mois, les coûts de l’ambulatoire médical ont recommencé à augmenter, alors que leur croissance était contenue avant la réforme de 2012. Rien que sur le canton de Vaud, 300 médecins supplémentaires se sont installés durant cette période. Il s’agit quasiment uniquement de spécialistes facturant des montants importants. A ce premier milliard à la charge de la LAMal, il faut ajouter un second milliard que les cantons ont dû financer en plus depuis 2012. Cause de ce surcoût: la libéralisation partielle du financement hospitalier. Le comble, c’est que ce milliard supplémentaire à la charge des cantons n’a même pas réussi à soulager la LAMal. Il n’a soulagé que les complémentaires. Le bilan de cette réforme est donc désastreux. Il y a deux perdants dans l’histoire, l’assurance-maladie sociale et le contribuable cantonal, et deux gagnants, les cliniques privées et les fournisseurs d’assurances complémentaires.

Quels sont les leviers d’action dont disposent les parties prenantes pour freiner cette hausse?
Pour cette question des spécialistes, il faut, au minimum, un instrument de réglementation pour l’installation de nouveaux cabinets. On pourrait, en outre, étudier la possibilité d’un modèle d’enveloppe par médecin, proche du système des enveloppes hospitalières. Autrement dit, après avoir observé la pratique historique d’un spécialiste et le nombre de points occasionnés par cette pratique, on construit une enveloppe qui est admissible pour les années futures. Et tout ce qui dépasse l’enveloppe fixée est payé à la marge. Les hôpitaux travaillent déjà sur ce principe d’enveloppes historiques, renégociées chaque année en fonction de l’activité. Ce système existe également pour les médecins installés, mais seulement sur une base collective pour l’instant. Le tarif de l’ensemble de la communauté des médecins installés peut baisser si le volume d’activités croît. Mais le problème avec cette solution collective, c’est que ceux qui gardent une pratique raisonnable dans le volume des prestations sont aussi sanctionnés.

Ce système d’enveloppe existe-t-il dans d’autres pays?
Je ne sais pas, mais dans les autres pays, il n’y a pas un régime de libre accès aux spécialistes et aux consultations spécialisées des hôpitaux comme chez nous. Or ici, nous devons trouver de nouveaux outils de régulation ou alors il faudra accepter que le système explose. En 2015, les assurés vaudois pouvaient encore, chez les grands assureurs, s’assurer pour 380 francs, avec une franchise de 300 francs. En 2016, on est passé à 430 francs chez les assureurs bon marché! Et les prix prendront encore l’ascenseur en 2017. L’automne va être difficile.

Quel rôle les assureurs doivent-ils jouer selon vous pour enrayer cette flambée des prix?
Il faudrait qu’ils assument leur casquette LAMal avec conséquence et que nous nous entendions sur des mécanismes de régulation. Sinon on laissera les primes exploser et cela ne nous mènera à rien. Car, plus la population paie pour l’assurance de base, plus sa disponibilité à accepter la moindre baisse de prestation devient nulle, même pour de l’homéopathie ou des pilules bonheur. Avec deux ou trois années de paix des primes, on pourrait peut-être donner la capacité à la population de se dire: «Ok, les assureurs, les cantons, la Confédération maîtrisent maintenant ce dossier. On peut commencer à discuter de ce qui doit être ou non dans le catalogue.»

Le nouveau système de tarification médicale Tarmed devrait être envoyé au Conseil fédéral à la fin du mois de juin, si les parties parviennent à un accord. Que pensez-vous des discussions en cours?
Je vois avec un début de désespoir l’attitude de la FMH, ou en tout cas de sa base, qui refuse un nouveau système avec un modérateur de coûts. Quand on voit le chaos dans ce débat, avec les assureurs qui ne sont pas d’accord entre eux, les médecins qui ne sont pas d’accord entre eux, la seule solution qui apparaît pour changer ce Tarmed — dont tout le monde dit qu’il est inadapté — semble être la puissance publique

Vous avez annoncé en début d’année vouloir mettre fin au lobby des caisses maladie au Parlement. Pourquoi viser les assureurs en particulier?
Je n’ai pas le pouvoir de mettre fin à quoi que ce soit tout seul, mais je peux donner quelques idées. J’estime qu’un rôle dirigeant dans une caisse devrait être incompatible avec un mandat parlementaire, comme c’est le cas pour d’autres gestions de prestations publiques moins sensibles que celle-ci, CFF ou RTS par exemple.

Vous soutenez le projet de la FRC d’introduire des caisses de compensation cantonales dans le domaine de la santé, alors qu’une partie du Parti socialiste est contre, pourquoi?
Certains experts, y compris au PS, pensent que le système devrait être nationalisé, que les cantons sont le problème et non la solution. Je suis en désaccord avec cette approche. A l’échelle d’un canton, les tâches de planification et de contrôle sont déjà lourdes. Dans le cas vaudois, 160 EMS, 20 hôpitaux et des milliers de médecins sont soumis à notre surveillance. Les cantons offrent souvent la masse critique nécessaire et, si ce n’est pas le cas, ils peuvent travailler ensemble. Le modèle que la FRC préconise et que je soutiens crée un partenaire unique pour la compensation des coûts. On garderait les caisses maladie actuelles. Mais au lieu d’avoir un compte chèque de l’assureur, on aurait sur le bordereau de prime le numéro de compte chèque de la caisse de compensation. Un mandat de prestation serait donné aux assureurs privés pour organiser ce prélèvement, contrôler les factures, etc. La compétition entre eux se jouerait alors sur la qualité des services. C’est ce que l’on vit déjà dans le cadre de l’assurance chômage et AVS. Ce modèle permettrait aux assureurs de continuer à être actifs dans l’assurance de base, d’avoir accès à l’assuré de base, voire de continuer à proposer leurs produits complémentaires. Ce serait pour moi le compromis idéal.

Interview réalisée le 6 juin 2016 à Lausanne (VD).
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Une version de cet article est parue dans le magazine Insurance Inside (no 3).