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Une pluie de grenouilles

Le Brexit semble déjà compliquer la marge de manœuvre de la Suisse dans ses négociations avec l’Europe. Au point d’en être à rêver d’improbables tours de passe-passe.

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On peut toujours compter sur les Anglais. Pour mettre la pagaille. Grand peuple irréductible pour les uns. Ramassis d’égoïstes frigorifiés pour les autres. Les conséquences multiples et encore à peu près inconnues du Brexit trancheront peut-être.

Parmi elles cet infime dégât collatéral mais qui nous concerne: ce qui était déjà très compliqué pour la Suisse le devient encore plus. A savoir: négocier avec Bruxelles l’application de la satanée initiative dite contre l’immigration de masse.

On connaît l’équation: appliquer l’initiative de l’UDC en instaurant des contingents, c’est aller contre les accords de libre-circulation signés avec Bruxelles. Quant à invoquer une clause de sauvegarde, autrement dit le prétexte d’une situation économique difficile, c’est assez ouvertement prendre nos partenaires européens pour d’inoffensifs demeurés. Dans ce contexte déjà tendu, l’UE sera d’autant moins prête à faire des cadeaux qu’elle a désormais d’autres chats à fouetter, britanniques et autrement griffus.

C’est du fond de cette impasse encore assombrie par le Brexit, que ressurgit le fantôme d’Ambühl. Un plan plutôt C que B, une directive due à l’ancien secrétaire d’État Michael Ambühl, sur mandat du Tessin. En réalité une clause de sauvegarde régionale qui peut s’appliquer dans les zones géographiques ainsi que les secteurs d’activité où un trop-plein migratoire serait diagnostiqué.

Autrement dit encore, une manière d’appliquer à bien plaire selon les lieux et circonstances une préférence nationale interdite par Bruxelles. Mais sans l’inscrire comme principe global et officiel. Une façon louvoyante de faire qui présente aussi l’avantage, en parlant uniquement de préférence nationale, d’éviter le concept de «contingents», véritable chiffon rouge pour le taureau bruxellois.

A l’annonce du Brexit, le président de la Confédération Schneider-Ammann s’est d’ailleurs empressé de ressortir ce lapin de son chapeau. En expliquant que placer une «limite quantitative» à l’immigration n’avait aucune chance devant les gardiens du temple européen, tandis qu’une «approche qualitative» paraissait bien plus prometteuse.

Et de donner dans Le Matin Dimanche un exemple très concret d’ «ambühlerie». «Supposons, en simplifiant, qu’au Tessin, il y a une forte immigration de chauffeurs de taxi et qu’en même temps le chômage s’accroît beaucoup parmi les chauffeurs de taxi. Les autorités pourraient alors agir et limiter l’immigration par le biais d’une préférence indigène dans cette branche et dans cette région». En espérant du moins qu’Uber ne s’en mêle pas…

Cette solution semble en tout cas avoir le soutien des milieux économiques, celui des cantons bien sûr et pourrait obtenir une majorité aux chambres. Sauf qu’elle est très compliquée à mettre en œuvre. Rien ne dit d’ailleurs que l’Union avalerait cette amusante couleuvre. Ou admettrait sans broncher un coup de canif certes très discret mais bien réel dans l’accord de libre circulation. Il n’est pas non plus certain que l’UDC reconnaisse dans cette fine manœuvre une application suffisante de son initiative anti immigration.

Enfin, le conseiller national Philippe Nantermod a rappelé aux enthousiastes de la directive Ambühl que pour invoquer l’article de l’accord qui prévoit des exceptions à la libre circulation «il faut qu’il pleuve des grenouilles». Tant la Suisse pour l’heure est loin des critères définissant «les difficultés économiques ou sociales» qui permettent d’actionner la clause de sauvegarde.

Bref, nous en sommes là de notre relation avec l’Europe: devoir compter sur une intensification des dérèglements climatiques.