LATITUDES

La graphologie perd des plumes

Il y a quelques années, l’analyse de l’écriture était très largement utilisée par les bureaux de recrutement du personnel. En période de haute conjoncture, cette méthode est nettement moins populaire.

Il y a quelques semaines, j’ai accepté une offre gratuite du bureau de graphologie vaudois DPH (Développement Personnel Harmonie). Cette société me proposait «une analyse graphologique personnelle succincte». Dans son courrier tous-ménages, la directrice de DPH, Eliane Biéri-Meille, à St Prex, précisait qu’elle collaborait avec un cabinet parisien «leader dans sa profession»: l’Institut Serubi, «qui a réalisé plus de 20 000 analyses d’écriture».

En lisant le prospectus, j’avais compris que mon écriture serait analysée par une certaine Murielle Danis, «psychographologue», collaboratrice de cet institut parisien. J’ai donc envoyé quelques lignes manuscrites à DPH.

Mais quelques semaines plus tard, au moment où la société me proposait d’approfondir cette première étude, j’ai appris qu’elle avait été effectuée non pas par Murielle Danis, mais par un ordinateur. Je me suis sentie flouée, peut-être à tort, d’avoir été analysée par un programme plutôt que par une spécialiste parisienne.

Et voici que l’hebdomadaire Weltwoche de cette semaine me confirme ce que je pouvais ressentir confusément depuis quelque temps à la lecture des offres d’emploi dans les journaux: la graphologie n’a vraiment plus le vent en poupe, surtout dans les services de recrutement du personnel.

Tout a changé depuis que les demandeurs d’emploi ne submergent plus le marché du travail. Au début des années 90, on ne recrutait plus un manutentionnaire sans analyser son écriture. Aujourd’hui, les entreprises préfèrent prendre le temps de proposer à des candidats plus rares des questionnaires ouverts à réponses multiples. On leur demande aussi de prouver leur valeur dans des mises en situation concrètes, le stage à la campagne coûtant alors évidemment un brin plus cher que l’analyse graphologique à 300 ou même 600 francs suisses.

En 1994, une étude de l’Université de Berne avait constaté que 77% des chefs du personnel alémaniques et 41% de leurs homologues romands recouraient à des tests graphologiques, notamment pour départager des candidats trop nombreux aux postes de cadres.

Aujourd’hui, en feuilletant les journaux, on constate que les entreprises et organisations ne demandent plus d’offres manuscrites, à l’exception de quelques poids lourds comme Pro Helvetia, Honda et occasionnellement le Crédit Suisse.

Nestlé, qui clamait en 1995 accorder 75% d’efficacité aux analyses graphologiques, n’y croit plus, nous dit la Welwoche. Et l’Université de Zurich qui donnait des cours de sensibilisation à la graphologie les a supprimés. La psychologie académique et le professeur zurichois de psychologie appliquée François Stoll prônent à nouveau la valeur du «dialogue, des jeux de rôle et de l’observation directe».

On se souvient alors de ce qu’on avait voulu oublier: le titre de graphologue n’est pas protégé et la graphologie n’a aucune valeur scientifique. La société suisse de graphologie, fondée en 1950, s’efforce cependant de mener des contrôles de qualité, faisant comparer à propos d’un même candidat ses prestations avec celle d’un stage: la comparaison démontre, paraît-il, une belle unanimité dans l’évaluation des compétences.