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Le roller derby ou le féminisme punk

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«Le roller derby, ce n’est pas plus violent que du rugby ou du hockey. Il y a du contact, on se fait des bleus et on tombe, certes. Mais c’est avant tout un sport où l’on apprend à maîtriser sa force et à se dépasser physiquement.» La nouvelle recrue écoute attentivement Gorana Mijic, alias La Marquise de Sade, joueuse de l’équipe genevoise GVA. La «fresh meat» (viande fraîche), comme sont tendrement appelées les débutantes, découvre les règles et l’univers particulier de ce sport d’équipe sur patins à roulettes exclusivement féminin. Le jeu se déroule ainsi: sur une piste ovale, cinq filles en affrontent cinq autres et la «jammeuse» de chaque équipe marque des points en dépassant les joueuses adverses qui l’en empêcheront par tous les moyens.

Apparu aux Etats-Unis au tournant des années 1930, le roller derby est d’abord créé comme une course de vitesse. «Les chutes deviennent rapidement l’attraction principale, dit Anna Sokol, alias Klitorious Basterd des Rolling Furies de Lausanne. L’industrie du spectacle récupère l’activité pour en faire une sorte de catch sur roulettes.» Après être tombé dans l’oubli, le roller derby connaît un nouvel essor au début des années 2000. Un mouvement punk aux inspirations féministes et Do it yourself, soit l’art de la débrouille anticonsumériste, se réapproprie le jeu qui rencontre dès lors un succès fulgurant.

Depuis 2009, c’est l’activité sportive qui connaît le plus haut taux de croissance au niveau mondial. Et c’est justement cette année-là que les Zürich City RollerGirlz inaugurent l’activité sur sol helvétique. Depuis, les équipes fleurissent. En Suisse romande, on trouve des Derby Girls à Genève, à Lausanne, à Nyon, en Valais et à Fribourg et Johanna Colombet ou Bloody Josie a déjà recruté une poignée de joueuses à Neuchâtel.

Un sport rebelle et émancipateur

«Le principe du roller derby, c’est qu’il est créé par les joueuses et pour les joueuses, ce qui lui donne une indépendance et un pouvoir émancipateur importants», explique la Lausannoise Klitorious Basterd, elle-même fervente féministe. Ces valeurs d’autonomie et d’horizontalité décisionnelle se traduisent notamment par l’organisation associative des équipes mais aussi par un amour de la subversion. «Dans la vie quotidienne, je m’appelle Rosy Mialet et je suis employée dans une banque privée. Mais à l’entraînement et lors des matchs, je suis Angua Von Überwald et j’exprime mon côté rock’n’roll», sourit malicieusement la genevoise de bientôt 40 ans dont la cuisse arbore fièrement un large tatouage. Ce versant rebelle se manifeste également par des looks où se côtoient signes punk et ultra-féminité. Bas résille, minishorts décorés de squelettes, protèges-genoux léopard, lacets roses et paillettes sur le casque, les jeunes femmes allient savamment provocation, coquetterie et dérision.

Le roller derby attire aussi par son aspect particulièrement inclusif. «Je ne suis pas un poids plume, mais au roller derby, on s’en fiche, lance Angua Von Überwald. Petite, grande, dodue ou maigrichonne, maman ou étudiante, homo ou hétéro, toutes les filles sont les bienvenues.» Et à la Marquise d’ajouter: «Tu sais pas patiner, tu veux faire du derby, viens en faire!» Cette liberté d’être soi-même est symboliquement entérinée par les «derby names» via lesquels les joueuses créent leur alter ego. Dina Might, FraCass’y, Fannykertamère ou encore Poppins Spank 777, autant de références guerrières qui laissent présager que, sur la piste, les joueuses donnent tout. «C’est comme sur un ring, pas de quartiers lors des matchs, raconte la Neuchâteloise Bloody Josie, adepte de sports de combat. Mais après le dernier coup de sifflet, on partage une vraie solidarité. En quelques mois, tu peux te faire des dizaines de copines.»
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Une version de cet article est parue dans le magazine L’Hebdo.