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Un méchant doute

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On pourrait penser que ce genre de vilain doute ne concerne que les républiques bananières. Trouver donc superflue l’initiative de la Délégation administrative des chambres fédérales qui s’est mise en tête de vouloir contrôler les revenus de nos si valeureux et tellement honnêtes parlementaires.

Des chevaliers blancs souvent présentés en train de sacrifier avec un héroïsme stupéfiant leur vie privée, leur temps et une carrière professionnelle tellement plus rémunératrice, à la seule défense des intérêts d’un peuple souvent ingrat.

La Délégation souhaite pourtant vérifier si le volume de travail et les diverses activités parlementaires de mesdames et messieurs les conseillers nationaux et aux Etats, justifient les indemnités qui leur sont octroyées. Tout cela pourrait paraître mesquin et pour tout dire sinistrement épicier.

Bien sûr il n’est pas forcément glorieux de rentrer chez soi tous les soirs, comme font bon nombre de parlementaires fédéraux, tout en ne manifestant aucun scrupule à toucher quand même l’indemnité de 180 Fr. par nuit pour dormir à Berne. Oui, on pourrait continuer à estimer qu’il ne s’agit là que de peccadilles, de manquements microscopiques, véniels, si on les compare à ce qui se passe sous des latitudes où le personnel politique se goinfre sans vergogne.

Sauf que. Une méchante coïncidence a fait que, dans le même temps, la nouvelle loi sur le tabac préparée par Alain Berset vient d’être présentée devant le Conseil des Etats. Et retoquée tout aussi sec. Retour à l’envoyeur sans même vouloir discuter d’un texte qui semblait pourtant des plus modérés. Avec juste quelques légers et sans doute indispensables bémols mis à la publicité tout azimut d’une industrie du tabac portée vers un seul but: harponner la jeunesse, public cible unique, indiscutable, l’écrasante majorité des fumeurs commençant à l’adolescence.

Alain Berset a fait valoir que malgré les restrictions mises à la réclame, cette nouvelle loi serait restée en la matière l’une des plus libérales d’Europe. Rien n’y a fait. La majorité de droite du Conseil des états a freiné des quatre fers, invoquant la liberté de commerce, dénonçant l’insupportable travers d’un État qui s’octroie le droit de dire aux citoyens comment ils doivent vivre, ce qu’ils doivent manger, comment ils doivent se comporter, ce qu’ils peuvent fumer ou ne pas fumer.

Les sacro-saintes libertés de l’individu et des entreprises sont de bien beaux principes. Sans doute même les plus beaux principes qui puissent être imaginés. Que la Suisse soit un des pays les plus libéraux du monde, nul n’en doute. Que cela soit un mal, rien ne le démontre. Il est donc d’autant plus gênant qu’une si bonne politique soit mise au service d’une si mauvaise cause. Comme si on invoquait le principe de la liberté d’entreprendre pour justifier l’existence d’Al-Qaida, ou de Cosa Nostra.

Les géants du tabac ne sont certes ni des mafieux, ni des terroristes. Se battre pourtant pour qu’ils puissent continuer de vendre leur came comme ils l’entendent, ne relève pas du libéralisme mais plutôt de la compromission la plus crasse. La question est donc légitime de savoir ce qui a bien pu pousser tous ces parlementaires à se faire les défenseurs aussi intransigeants des cigarettiers.

Alain Berset n’a en effet pas tout à fait tort de constater que la ligne adoptée par le Conseil des Etats reprend à peu près exactement les revendications des fabricants de tabac. Qu’est-ce qui peut motiver ces élus, une majorité d’entre eux du moins, à rouler pour Philip Morris and Co? La délégation administrative des chambres fédérales pourrait peut-être nous éclairer là-dessus.