LATITUDES

«Un schizophrène n’a pas de double personnalité»

La schizophrénie affecte l’identité des personnes atteintes. Le point avec un spécialiste sur les connaissances de cette maladie qui perturbe le traitement de l’information au niveau du cortex.

Violence, double personnalité, maladie mentale de l’identité… Pour nombre d’entre nous, la schizophrénie reste associée à des manifestations inquiétantes que la fiction romanesque et le cinéma exploitent. Dans Psycho, A Beautiful Mind, Shutter Island ou Fight Club, cette maladie est mise en scène comme l’expression d’une identité perturbée, avec personnalité multiple et hallucinations visuelles à la clé. Mais ces représentations n’ont pratiquement rien à voir avec la réalité des symptômes (lire l’encadré ci-dessous). Le problème, c’est que cela contribue à la stigmatisation des patients.

«La schizophrénie et la personnalité multiple sont deux maladies différentes», souligne Jérôme Favrod, professeur à l’Institut et Haute Ecole de la Santé La Source — HEDS La Source VD et infirmier spécialiste au Service de psychiatrie communautaire au CHUV à Lausanne. «La schizophrénie est une maladie du traitement de l’information au niveau du cortex hétéromodal, alors que la personnalité multiple est une stratégie adoptée par certaines victimes de violences sexuelles dans l’enfance pour faire face», précise-t-il. Quant au raccourci qui consiste à ranger la schizophrénie parmi les «maladies du moi», le spécialiste n’hésite pas à le qualifier d’«offensant pour les patients et les connaissances actuelles».

Les premiers grands essais randomisés sur la schizophrénie ont succédé aux simples études de cas à partir des années 1980. Dans les années 1990 et 2000, des travaux ont été menés sur les hallucinations. Actuellement, des programmes métacognitifs sont conçus avec des traitements ciblés des pensées et des émotions. En trente-cinq ans de carrière, Jérôme Favrod a suivi tous ces développements et créé en 1991 le réseau francophone des programmes de réhabilitation intégrant différentes interventions. Pourtant, le spécialiste constate que ces connaissances peinent à arriver jusqu’aux soignants, avec des conséquences négatives pour les malades: «La psychiatrie produit des données de qualité, mais les luttes d’école et le dogmatisme freinent leur diffusion.» D’où la persistance de concepts obsolètes, comme celui de la «mère schizophrénogène», culpabilisant et qui ne repose sur aucune donnée. «J’entends encore des soignants me dire qu’on ne peut pas faire de la relaxation avec ces patients, poursuit Jérôme Favrod. Alors que les études sur l’utilisation de cette technique sont très positives.»

Guérison possible

Actuellement, le modèle psychologique le plus prometteur est le processus de guérison. Car oui, «on peut se rétablir de la schizophrénie», insiste Jérôme Favrod. Ce modèle a émergé suite aux témoignages de patients, qui ont relaté comment ils avaient repris le pouvoir sur leur existence. La recherche montre que ces cas ne sont pas isolés: «42 à 68% des personnes atteintes de schizophrénie présentent un rétablissement complet», précise Jérôme Favrod.

Mais attention, s’en sortir ne signifie pas que tout redevient comme avant. On parle de rétablissement lorsque la personne se remet de la «catastrophe psychologique qu’est la maladie pour mener une vie pleine et significative avec une identité positive fondée sur l’espoir et l’autodétermination». Il se produit donc une transformation: les personnes se sentent différentes de ce qu’elles étaient avant de tomber malades.

Le modèle du rétablissement a mis en évidence cinq phases dans ce processus — moratoire, conscience, préparation, reconstruction, croissance — et propose pour chacune des interventions psycho-éducatives. Lors de la dernière phase, la personne n’est pas forcément libre de symptômes. Mais elle sait gérer sa maladie et est tournée vers l’avenir.
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Le point sur les symptômes de la schizophrénie

Les symptômes de la schizophrénie se situent à plusieurs niveaux:

– Symptômes psychotiques: hallucinations auditives («voix»), idées délirantes, désorganisation.

– Symptômes déficitaires: réduction de l’expression verbale et non verbale, difficulté à anticiper le plaisir, retrait social, troubles de l’attention.

– Les hallucinations et idées délirantes apparaissent souvent bien avant la première crise psychotique, à l’adolescence. Les spécialistes insistent sur la nécessité de ne pas les banaliser lorsqu’ils surviennent, afin de construire une alliance thérapeutique avec un médecin.
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Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères (no 10).

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