TECHNOPHILE

Les technologies de demain

Quelles sont les évolutions techniques et scientifiques les plus prometteuses? Et quel sera leur impact sur nos vies? Premier volet des «technologies qui vont changer le monde».

De grandes organisations comme le World Economic Forum, les cabinets d’audit et de conseils comme Deloitte, Gartner ou PricewaterhouseCoopers établissent régulièrement leurs classements des avancées techniques et scientifiques les plus prometteuses.

L’impact de ces progrès techniques sur tous les aspects de nos vies, déjà important, s’annonce encore plus spectaculaire dans les années à venir.
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Matériaux — La promesse des nanoparticules

Extrêmement modulables, plus légers, élastiques, biocompatibles, respectueux de l’environnement. A l’image des bioplastiques et du béton intelligent, une nouvelle génération de matériaux est née. «Il s’agit d’un domaine de recherche très poussé, relève Sandrine Gerber, professeure au Laboratoire de synthèse et produits naturels et responsable du Groupe des biomatériaux fonctionnalisés à l’EPFL. Ces nouveaux matériaux permettent de grandes avancées dans de nombreux domaines, comme celui de la construction: meilleure isolation, amélioration de l’étanchéité et de la résistance, économies d’énergie…»

Dans le domaine de la santé, les bio­matériaux ont permis des progrès spectaculaires. Des vaisseaux artificiels aux implants dentaires, en passant par les prothèses pour les hanches ou les articulations, leur utilisation est déjà courante, mais leur potentiel reste immense. «La recherche place notamment de gros espoirs dans la nanomédecine, poursuit Sandrine Gerber, qui travaille actuellement sur des biomatériaux nanoscopiques et microscopiques. Les nanoparticules permettent par exemple de limiter les effets secondaires d’un médicament. Elles enrobent le principe actif pour le délivrer au plus proche de sa cible. Ce procédé est très efficace pour les médicaments anticancéreux, souvent très toxiques pour le reste de l’organisme. Dans le domaine de la transplantation cellulaire, l’utilisation de microcapsules de polymères permet d’isoler les cellules du système immunitaire et de les protéger.» Ce ciblage thérapeutique s’inscrit dans le sillage d’une médecine toujours plus personnalisée et devrait permettre de développer de nouveaux traitements.
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Objets connectés — Bientôt 80 milliards

Équipés de puces ou de capteurs, reliés à internet ou entre eux, les objets connectés s’imposent partout. En à peine dix ans, leur nombre est passé de moins d’un million à plus de 15 milliards dans le monde. Et la croissance va s’accélérer. D’après les prévisions de Gartner et d’Idate, deux cabinets spécialisés dans le suivi du marché des technologies, on en comptabilisera entre 30 et 80 milliards en 2020.

«Ce phénomène touche tous les secteurs de l’industrie et oblige les entreprises à s’adapter, explique Philippe Fischer, directeur de la Fondation suisse pour la recherche en microtechnique. Le domaine de l’hor­logerie en est un parfait exemple.» Suite à la commercialisation de l’Apple Watch, des marques horlogères pourtant très traditionnelles, telles que Montblanc et Breitling, ont aussi développé leur propre modèle.

Pour l’instant, les données émises par les objets connectés sont envoyées sur différents types de terminaux, mais «d’ici à cinq ans, l’information convergera surtout vers les smartphones et les tablettes», dit le spécialiste. Vendus comme un moyen de faciliter la vie des consommateurs, à l’image du réfrigérateur qui établit la liste des courses à faire lorsqu’il est vide, les objets connectés génèrent pourtant de nouveaux risques. «Les données personnelles des utilisateurs sont collectées et stockées sur le web, ce qui les expose aux abus. Le risque de dérives de type ‘Big Brother’ est réel.»
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Impression 3D — Vers une troisième révolution industrielle

Les premiers essais de fabrication additive, ou impression 3D, datent des années 1980, mais la technologie explose aujourd’hui grâce à l’avènement du numérique et d’Internet. Elle dessine, selon les experts, les contours d’une nouvelle révolution industrielle. «Contrairement aux méthodes traditionnelles de production par usinage dites ‘soustractives’, qui retirent de la matière pour créer une pièce, la fabrication additive génère peu voire pas de déchets, explique le professeur Andreas Mortensen, directeur du Laboratoire de métallurgie mécanique à l’EPFL. On passe directement d’un fichier informatique à un produit fini, avec les avantages d’un gain de temps et, selon le cas, de coût.» Les entreprises l’ont compris, la technologie permet un prototypage rapide et réduit fortement le temps de mise sur le marché d’un nouveau produit. Elle est déjà utilisée dans certains domaines industriels, notamment l’aviation, et médicaux, pour la création de prothèses personnalisées à l’aide de scanners.

L’impression 3D se démocratise de plus en plus, notamment à travers l’ouverture de «Fab labs», qui permettent à chacun de se réapproprier les moyens de production. «Bientôt, le particulier pourra produire facilement des objets solides. L’artisanat va se personnaliser.» Les matières utilisées actuellement sont principalement le plastique et le métal sous forme de poudre, comme l’or, le titane ou l’aluminium, réassemblés par strates grâce à un procédé de fusion laser ou à faisceau d’électrons, «mais bientôt, les matériaux ainsi exploités vont se multiplier». Cette technologie est porteuse de projets majeurs, notamment dans le domaine médical, sous l’appellation de «bioprinting» avec les tentatives de reproduire des vaisseaux sanguins, du cartilage, de la peau ou même des organes complets.
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Smart Grid — Une gestion efficace des réseaux électriques

Avec l’essor des énergies renouvelables comme le solaire ou l’éolien, les réseaux de distribution électrique doivent évoluer. Car cette nouvelle énergie verte, très variable et aléatoire — puisque dépendante de la météo — n’est pas simple à intégrer dans les réseaux existants, construits pour absorber une production énergétique quasi linéaire. La transformation des réseaux électriques ne représente pas qu’un défi technique: elle répond également à une problématique économique.

«Actuellement, pour remédier aux fluctuations de la production énergétique solaire et éolienne, les compagnies d’électricité doivent pouvoir compter sur des générateurs supplémentaires, dont beaucoup fonctionnent au gaz ou au mazout, explique le professeur Jean-Yves Le Boudec, codirecteur du projet Smart Grid de l’EPFL. Le problème est que la rentabilité de ces générateurs, qui ne sont utilisés que de manière très irrégulière, n’est pas assurée.»

Une des approches du Smart Grid consiste à munir les logements de compteurs intelligents. Ainsi, les consommateurs connaissent à l’avance les heures durant lesquelles l’électricité est la plus chère et adaptent leur consommation. «Des systèmes déjà testés dans de nombreux pays, dont la Suisse, permettent d’adapter la demande à la production, et donc de réduire les coûts relatifs à l’utilisation des générateurs supplémentaires pour les compagnies d’électricité.»

Le projet Smart Grid de l’EPFL teste une autre approche: développer un réseau intelligent fonctionnant uniquement avec des énergies renouvelables et s’équilibrant automatiquement grâce à une production décentralisée, fournie par les installations solaires et éoliennes des entreprises et des particuliers.
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Robotique — Des robots et des hommes

Une prothèse qui évalue le geste qu’aimerait faire son porteur, une voiture qui se déplace toute seule, la réalisation d’une opération complexe dans la chaîne de fabrication d’un produit industriel: les robots s’imposent partout en devenant de plus en plus performants. «Un robot se différencie d’une machine par son niveau d’autonomie, explique Aude Billard, professeur à l’EPFL au laboratoire Learning Algorithms and Systems. Il est capable d’adapter ses décisions en fonction des circonstances dans un environnement non prédictible.» La recherche progresse rapidement et les robots du futur intégreront toujours plus de paramètres. «Dans le secteur industriel, ils travailleront bientôt en collaboration directe avec des humains, les aidant à transporter et à façonner des objets. Le potentiel de cette interaction robot-humain est immense, mais elle pose de nombreux problèmes nouveaux.»

Ces problèmes sont d’abord techniques puisque des dérèglements sont encore courants, mais ils sont aussi juridiques, car il est difficile de désigner un responsable en cas d’incident entre un robot et un humain. Ces questions deviendront centrales, par exemple si un véhicule autonome provoque un accident mortel suite à une décision informatique rationnelle. Enfin, la question éthique demeure la plus sensible. Si l’on se félicite des progrès facilitant la vie quotidienne, la crainte que les robots ne viennent remplacer les humains et changer profondément la structure de certains métiers est réelle.
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Collaboration: Gabrielle Cottier, Leila Hussein et Thomas Pfefferlé

Une version de cet article est parue dans le magazine ordinare cialis online(no 3).