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Des cirrus aux «chemtrails», de l’inspiration aux soupçons

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«Pourquoi l’homme est-il sur Terre?» A cette question, le philosophe grec Pythagore répondait: «Pour contempler le ciel». Contempler le ciel, c’est découvrir ses «habitants», les nuages, longtemps sources d’inspiration pour les peintres, les poètes, les écrivains et les rêveurs. A la fin du 19ème siècle, les météorologues ont mis des noms — cumulus, stratus ou cirrus — et tenté d’expliquer ces formations cotonneuses. «Quelle est donc cette science qui accroît votre compréhension mais appauvrit votre imagination?», s’interrogeait David Thoreau qui ne voyait pas l’utilité de recourir à la sécheresse de la science pour rendre compte de la beauté du ciel.

Depuis Pythagore et Thoreau, la configuration des nuages a connu une révolution. Durant la Première Guerre mondiale, un nouveau nuage a vu le jour: le nuage linéaire qui se forme dans le sillage d’un avion se déplaçant en haute altitude. Son nom scientifique: «cirrus aviaticus».
L’homme est devenu un créateur de nuages: par effet météorologique, il crée ces traînées de condensation («contrails») qui découpent aujourd’hui le ciel. Au grand dam de certains qui déplorent la disparition de ciels vierges alors que Gavin Pretor-Pinney, le fondateur de la «Cloud Appreciation Society» (Association mondiale d’observateurs de nuages) y voit «la simplicité abstraite d’une peinture de Mondrian».

A une altitude de 8000 à 12000 mètres, où les températures s’échelonnent entre -30 et -60 degrés Celsius, les gaz d’échappement chauds et humides des avions se refroidissent. Cela peut entraîner une partie de l’humidité à se transformer en gouttelettes d’eau qui se solidifient rapidement en cristaux de glace à l’origine de la formation d’un nuage. L’échappement de l’avion est donc de la «semence de nuage».

Cet ensemencement n’est pas toujours involontaire. Depuis une septantaine d’années, des scientifiques ont introduit des noyaux artificiels dans les nuages, à titre expérimental pour tenter d’augmenter les précipitations en cas de sécheresses, de modérer la sévérité des orages de grêle, de dissiper le brouillard au-dessus des aéroports. L’ensemencement a aussi été utilisé à des fins moins louables notamment pendant la guerre du Vietnam. Pour mettre fin à de telles pratiques, une «Convention sur la prohibition des modifications techniques environnementales à des fins militaires ou de quelque manière hostiles» (ENMOD) fut établie à Genève en 1977. Est-elle respectée? L’heure est aux soupçons.

Ainsi, des traînées de condensation contiendraient des produits chimiques répandus en altitude à des fins diverses. Des chercheurs italiens, pour décrédibiliser cette allégation, ont fait courir la rumeur que des «chemtrails» (de chemical trails, traînées de produits chimiques) avaient été analysés et contenaient du Viagra. Une information que l’on a rapidement retrouvée sur les sites de théorie du complot. Ce printemps, sur ces mêmes sites, c’est Vladimir Poutine qui accusait les Etats-Unis de larguer des «chemtrails» sur les Syriens et Bernie Sanders qui incluait le combat contre les «chemtrails» à son programme. Les «chemtrails» génèrent de plus en plus de hoax climato-complotistes.

Tous les propos relatifs au phénomène des «chemtrails» relèvent-ils de l’intox? «Overcast», le film documentaire du Suisse Matthias Hancke (diffusé depuis le début de l’année en Suisse allemande) se penche sur cette question très controversée. D’où proviennent ces traînées de condensation persistantes qui quadrillent le ciel dans de nombreuses parties du globe? Pourraient-elles s’avérer toxiques, quelles seraient leur origine, qui initierait une telle entreprise et pourquoi?

Après six ans de recherche, le réalisateur constate que, depuis des années, les autorités américaines, européennes et suisses sont débordées de demandes au sujet des «chemtrails». D’innombrables mesures de la composition des traînées de condensation ont été effectuées. Or, curieusement, la présence des substances suspectes que sont l’aluminium et le baryum n’a jamais fait l’objet de recherches ciblées. Pour combler cette lacune, Hancke a procédé à ses propres mesures et prétend avoir trouvé du baryum à 8500 mètres. «A mon avis, c’est le devoir des autorités d’entreprendre des études sérieuses et indépendantes», estime-t-il.

Dans l’attente de résultats rassurants, il n’est pas aisé d’aimer les aviaticus, ces enfants bâtards de la famille des nuages. Le «Guide du chasseur de nuages» (Ed. JC Lattès) relève: «Certains chasseurs de nuages peuvent se sentir ambivalents à leur égard, mais combien peuvent accueillir ces nouveaux venus les bras grands ouverts? Au-delà des figures tranchantes projetées sur les roses soirées d’automne, ces bandelettes glacées du progrès sont avant tout, pour le chasseur de nuages comme tout un chacun, un avertissement marqué sur le ciel».