Le débat sur l’union des homosexuels agite l’Allemagne qui n’a pas encore son Pacs. Dans la dernière édition de «Die Zeit», deux articles viennent provoquer une communauté qui se rattache à une symbolique devenue désuète pour beaucoup d’hétéros.
Lire «Die Zeit» tient du marathon. Huit cahiers papier journal grand format pour l’hebdomadaire sans doute le plus volumineux de l’espace germanophone conçu sur le modèle des journaux du week-end anglais. Dans le dernier numéro paru vendredi, j’ai foncé au hasard et en piqué sur les derniers cahiers, intitulés Leben (l’équivalent de Société) et Feuilleton (Culture).
A retenir, la description humide du dernier festival d’opéra à la mode, à Dhalhalla, qui n’est pas en Inde comme on pourrait le croire mais bien en pleine Suède profonde et brouillardeuse. Puis l’interview du musicien chinois Tan Dun qui a composé une très bouddhiste Passion selon St Matthieu en hommage à Bach davantage qu’à Dieu.
J’ai pris mon souffle pour plonger plus profond dans deux articles critiques, toujours des pages entières imprimées menu, sur le mariage des homosexuels. La question suscite de toute évidence un vif débat en Allemagne qui n’a pas encore son Pacs et cherche sa voie vers l’égalité à tout prix des relations de couple.
Les deux articles, l’un analyse et l’autre chronique personnelle, partent de la même évidence: le mariage est en pleine crise sinon en perte de sens, il ne structure plus les relations de couple au quotidien, il ne protège plus vraiment des familles qui n’existent pas au sens strict du terme dans les couples sans enfants ou qui se désagrègent allégrement. Alors pourquoi diable les homosexuels tiennent-ils tant à pouvoir se marier? Quel est donc ce combat d’arrière-garde pour une égalité inspirée d’un modèle désuet?
«Dans cent ans, le mariage pourrait bien être devenu un ghetto de gays et lesbiennes», lance Fay Weldon dans sa chronique vitriolée. Cette écrivain anglaise, ancienne women’s lib qui passe aujourd’hui pour ironiser dans ses romans sur le mouvement féministe, rappelle les efforts entrepris par la Grande-Bretagne pour établir une égalité de fait entre les différents groupes sociaux. Du coup, les enfants apprennent pêle-mêle à l’école que la famille est le pilier de la société et le modèle relationnel numéro 1, mais aussi que les relations entre homosexuels valent tout autant… Eux qui ont déjà peur de la sexualité hétéro, comment vont-ils donc intégrer toute la richesse de celle des homosexuels? Fay Weldon donne en exemple l’Etat du Vermont, aux Etats-Unis, qui a introduit une nouvelle catégorie de relations reconnues par la loi. Toute relation à deux, indépendamment du sexe des conjoints, obtient les mêmes avantages fiscaux et la même protection juridique que les couples mariés.
Jan Ross va plus loin dans le même sens dans son article intitulé «Baustelle Beziehung», (Relation en chantier). Il critique d’abord sévèrement la position égalitariste à tout prix du gouvernement allemand et se livre à une démolition en règle du sens actuel d’une institution du mariage dont le critère central est la sexualité partagée entre deux êtres. L’idée d’abandonner le critère de sexualité partagée et d’accorder un statut de compagnonnage à une relation de frères et sœurs ou autres parents avait été discutée puis abandonnée en France lors de l’introduction du Pacs.
«Die Zeit» la reprend en l’élargissant. Jan Ross propose de distinguer deux types de relations à protéger par la loi, la famille traditionnelle avec enfants d’une part et de l’autre, l’association d’adultes – deux ou plus – librement choisie mais elle aussi structurée. «Voilà un modèle qui permettrait d’en finir avec le naturalisme et les conventions, qui mettrait fin à la pression du «mariage juste» tout en respectant la manière de voir des père et mère traditionnels, le sentiment de la population en général et l’héritage chrétien occidental.» Une utopie totale, admet aussi vite l’auteur de l’article, d’autant plus que les homosexuels ne veulent pas ça du tout: ils tiennent mordicus au mariage, au bonheur garanti par l’Etat aujourd’hui où le mariage civil tient lieu de sacrement. «Il serait grand temps de renvoyer les amants entre leurs draps et les quêteurs d’éternité à l’église et d’imaginer par ailleurs la mise en place sociale de multiples formes d’existence collective. Mais les gays et les lesbiennes doivent sans doute faire d’abord leur expérience à eux du mariage», conclut Jan Ross.
L’espace germanophone, en Suisse allemande aussi, se montre traditionnellement plus ouvert aux expériences collectives et communautaires que la Suisse romande ou la France, les années 70 et 80 l’ont amplement démontré. Il sera donc intéressant de voir si l’Allemagne se dote d’un modèle plus ouvert et novateur que la France dans sa reconnaissance institutionnelle des relations autres que le mariage hétérosexuel traditionnel.