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L’éducation sexuelle plus indispensable que jamais

Les enfants n’ont jamais été aussi informés sur le sexe. Les experts estiment essentiel qu’ils acquièrent des outils pour développer une vision critique et décortiquer notre monde hyper-sexualisé.

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L’initiative populaire «Protection contre la sexualisation à l’école maternelle et à l’école primaire» avait fait beaucoup de bruit au début 2015. Mais elle n’a pas abouti. Le comité qui la soutenait, formé principalement de membres alémaniques de l’UDC, l’a retirée l’été dernier. Le texte souhaitait supprimer l’éducation sexuelle à la maternelle et la remplacer par un cours de biologie sur la reproduction et le développement humain pour les jeunes à partir de 12 ans. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’échec de ce projet a soulagé les spécialistes en santé sexuelle.
«Même si l’initiative a été très médiatisée, les opposants à l’éducation à la sexualité — qui proviennent essentiellement de groupes religieux, toutes confessions confondues — sont très minoritaires, observe Àgnes Földhazi, responsable de la formation continue pour les futurs éducateurs et éducatrices en santé sexuelle à la Haute école de travail social de Genève – HETS-GE. De plus, ces cours ne sont même pas obligatoires en Suisse romande. Mais le droit d’exemption est très peu utilisé. Cet enseignement est bienvenu pour une grande majorité de parents.»

Les enfants beaucoup plus informés sur la sexualité

Pour les spécialistes, le constat est clair: l’éducation sexuelle dès le plus jeune âge est fondamentale dans une société comme la nôtre où le sexe est très présent. Présidente de l’Association romande et tessinoise des éducateurs en santé sexuelle et reproductive (Artanes), Pascale Coquoz intervient beaucoup sur le terrain. Elle constate que les enfants de 6 à 9 ans sont beaucoup plus informés sur la sexualité qu’il y a une dizaine d’années. Ils disposent souvent d’informations provenant d’enfants plus âgés, des réseaux sociaux ou des images qu’ils côtoient au quotidien. «Ces informations ne sont pas toujours adaptées à leur statut d’enfant et ils ne savent pas comment les gérer», explique Pascale Coquoz.

Le rapport à l’image a également changé: «Quand je leur dis que je vais leur lire une histoire et leur montrer des images, je sens de l’anxiété et de l’agitation chez les petits de 8 ans, raconte la spécialiste. Certains me demandent si ces images leur feront peur.» Il y a quelques années, Pascale Coquoz pouvait dessiner schématiquement les corps de filles et de garçons au tableau ou sortir les planches anatomiques pour expliquer la grossesse. «Mais je ne le fais plus, je préfère utiliser les mots.» Ces réactions de stress, l’éducatrice en santé sexuelle les explique par la confrontation au monde d’images dans lequel nous baignons, et où toutes ne sont pas destinées aux enfants.

Par rapport à l’accès facilité à la pornographie via Internet, Pascale Coquoz estime qu’il ne faut ni minimiser ni dramatiser son impact: «La plupart des petits sont protégés. Tous les enfants de 10 ans n’ont pas vu de pornographie.» Mais ils se posent des questions et s’ils ne trouvent pas de réponses dans leur entourage, ils vont s’informer sur internet. Et là, ils peuvent tomber sur des images pornographiques alors qu’ils ne les cherchent pas. L’autre effet d’internet, c’est la normalisation de ce qu’il faut faire et ne pas faire pour être considéré comme «normal». «Certaines pratiques, comme les relations anales ou orales, sont présentées comme étant le lot de tout un chacun, relève Caroline Jacot-Descombes, cheffe de projet chez Santé Sexuelle Suisse, l’organisation faîtière des centres de santé sexuelle et planning familial, des services d’éducation sexuelle et des associations professionnelles. Cela exerce des pressions supplémentaires sur certains jeunes.» La spécialiste note aussi qu’internet a changé comment et avec qui les jeunes entrent en relation. Les réseaux sociaux posent notamment la problématique de ce qui est privé ou public et de la préservation de l’intégrité des jeunes usagers.

Des cours qui doivent commencer tôt

Dans ce nouveau contexte, «les cours d’éducation à la sexualité représentent un outil permettant aux enfants de développer une vision critique et de décortiquer ce monde hyper-sexualisé dans lequel ils vivent», estime Caroline Jacot-Descombes. Ces enseignements favorisent aussi l’égalité entre filles et garçons, car les droits humains se trouvent au cœur des cours: en matière de sexualité, tout peut être fait, dans la mesure où les limites de l’autre sont respectées. «Il vaut mieux équiper tôt les enfants de compétences leur permettant d’exprimer ce qu’ils ressentent, que de commencer à l’adolescence, car ces aptitudes n’ont rien d’inné.»

Comment les éducatrices et éducateurs remplissent-ils leur délicate mission? Pascale Coquoz indique qu’avant même d’aller dans les classes, un travail est fait en partenariat avec les parents, en organisant des soirées. «Celles-ci ne sont pas simplement informatives, souligne-t-elle. Il s’agit de moments d’échange autour de nos outils éducatifs. Nous prenons en compte les ressources des familles pour nous appuyer sur celles-ci dans notre travail.» Même s’il existe un cursus de base, les cours sont adaptés selon les classes, la dynamique, les besoins et les demandes des élèves. Un grand travail est également effectué autour des émotions. «Nous répondons à toutes les questions, mais toujours avec le souci de laisser l’enfant à sa place d’enfant, poursuit Pascale Coquoz. Nous donnons les réponses les plus simples possibles, sans surinformer.»

En adéquation avec les standards de l’Organisation mondiale de la santé, les cours sont adaptés par tranches d’âge, selon le stade de développement des enfants. Les tout-petits, jusqu’à 7 ans, apprennent notamment à mettre en mots les parties du corps, parties intimes comprises, à identifier les sentiments, à différencier l’amour et l’amitié, à distinguer ce que l’on peut faire en privé et en public, ou à apprendre qu’il existe différents types de sexualités et de familles. «Il s’agit aussi de faire de la prévention, afin de dépister et éviter les abus éventuels, indique Àgnes Földhazi, sans toutefois mettre l’emphase sur cet aspect. La sexualité doit d’abord être envisagée de manière positive.» La capacité à dire «non», à chercher de l’aide, à distinguer le secret que l’on garde de celui qui doit être partagé avec un adulte de confiance, représentent autant de compétences que les enfants sont amenés à développer durant ces cours.

«Contrairement à ce que voulait l’initiative, ce n’est pas uniquement aux parents de dispenser un enseignement sexuel aux enfants, considère Agnes Földhazi. Une partie importante leur revient, évidemment, mais l’Etat, à travers les établissements scolaires, doit servir d’auxiliaire. Cela afin d’assurer un traitement équitable entre les enfants. Tous les élèves ont ainsi accès à la même information, la plus complète et à jour possible.»

Pascale Coquoz souligne enfin l’importance du niveau de formation des éducateurs, de la formation continue, des supervisions régulières et des interactions avec tous les professionnels du réseau, spécialement les enseignants. L’éducation sexuelle est en effet un domaine très sensible, tant pour les élèves que pour les éducateurs. Pour l’instant, la grande majorité des éducateurs sont en fait des éducatrices. «Mais la place des hommes dans ce rôle est essentiel, confie Pascale Coquoz. Une augmentation des effectifs masculins fait partie des changements dont les enfants ont besoin.»
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Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères (no 10).

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