KAPITAL

Une mini-maison pour 30’000 francs

Le mouvement des micro-logements gagne la Suisse. Une start-up fribourgeoise, Swiss Tiny House, se lance dans la conception et la vente d’habitations miniatures et mobiles.

Une petite maison en bois d’une vingtaine de mètres carrés, posée dans un coin de terrain agricole, les fenêtres donnant sur les champs alentour: voilà le rêve de Pascal Cornu. Un rêve qui a rencontré un tel écho dans son entourage que le Fribourgeois a décidé d’en faire une entreprise. En octobre, en compagnie de sa fille, il a créé à Cheyres (FR) la start-up Swiss Tiny House, qui se lance dans la réalisation et la fabrication de micro-maisons mobiles pour le marché suisse. Le concept attise l’intérêt de nombreux acheteurs potentiels. «Fin août, j’ai mis quelques annonces sur le site Anibis pour sonder la demande avant d’investir. En une semaine, nous avons totalisé environ 60’000 clics. Un sacré baromètre!»

La tendance des micro-maisons est née aux Etats-Unis, où elle a décollé au lendemain de la crise immobilière de 2008, et rencontre un succès grandissant en Europe depuis deux ans, notamment en France où plusieurs entreprises se sont lancées dans le créneau. «En Suisse, beaucoup de gens sont fatiguées de payer des loyers exorbitants, mais ne disposent pas forcément de moyens suffisants pour acheter ou construire une villa.», analyse Pascal Cornu, qui est à l’origine des centres de blanchiment dentaire Smile’Up et se décrit comme un «créateur de concepts commerciaux». L’entrepreneur note qu’il faut avoir un «esprit nomade» pour habiter une mini-maison. «Mais les Tiny House sont plus luxueuses que l’on pourrait le penser de prime abord. Avec une hauteur de plafond de 3,8 mètres, on obtient un beau volume intérieur. Ce n’est pas étouffant comme une caravane.»

LED et poêle à bois

Aidé d’une architecte, Swiss Tiny House a mis au point cinq modèles, quatre habitations et un bureau. Toutes les micro-maisons de la start-up sont montées sur un châssis et font 2,5 mètres de large, ce qui leur permet d’être déplacées sur le réseau routier. La longueur, en revanche, varie de six à huit mètres. Quant aux prix, ils s’échelonnent de 32’000 à 58’000 francs, équipements compris. Les habitations comprennent un coin cuisine, une salle de bain et des mezzanines qui servent de chambres à coucher, et sont munies d’un poêle à bois pour le chauffage.

«Le projet affiche une dimension écologique, souligne Pascal Cornu. Nous ne voulions pas d’un chauffage électrique ou au mazout.» L’éclairage LED provient de panneaux solaires, qui alimentent aussi des prises pour les ordinateurs et téléphones portables. Le chauffe-eau et la cuisinière fonctionnent au gaz. «Les Tiny House peuvent être conçues de deux manières: autonomes ou raccordées à une arrivée d’eau, à un écoulement et à l’électricité. Elles restent plutôt prévues comme résidences secondaires.»

Swiss Tiny House a débuté la construction de ses premières maisons dans des halles louées à Ependes (FR) début novembre, avec un investissement de départ d’environ 50’000 francs. La première maison devrait être livrée fin décembre et la start-up vise dans un premier temps la réalisation de deux unités par mois. Pascal Cornu s’est entouré de deux menuisiers. Il s’occupe de la partie commerciale, alors que sa fille gère l’administration.

Méfiance des autorités

Un seul hic ternit pour l’heure le projet de l’entrepreneur: la difficulté d’accéder à des emplacements. Les micro-maisons mobiles ne nécessitent pas de permis de construire, mais une autorisation de stationnement. «Les règlements diffèrent d’un canton à l’autre, explique Pascal Cornu. A Fribourg, les autorités m’ont indiqué qu’il s’agit d’une zone grise de la loi et que l’installation d’une Tiny House sur un terrain à construire est en principe possible. Le problème réside dans le fait que les communes, à qui il faut adresser une demande, ne se montrent pas très conciliantes. Le phénomène est nouveau, donc inconnu, et il n’existe pas de directive spécifique, ce qui explique probablement cette attitude. Mais il n’y a pas de base légale pour ces interdictions et j’ai bon espoir que la situation évolue rapidement.»

Pascal Cornu poursuit des recherches pour résoudre ce problème. Il ambitionne de pouvoir prochainement proposer des emplacements via son site, en publiant les annonces de propriétaires prêts à louer des terrains. Son modèle d’affaire comprend également d’autres offres pour les acheteurs de micro-maisons. «Nous allons proposer un service de maintenance, pour l’entretien des installations, ainsi qu’un service d’assistance pour les déplacements, pour les personnes qui ne possèdent pas de véhicules capables de tracter 3500 kilos.»

Tendance minimaliste

L’arrivée des premières micro-maisons sur roues de Suisse s’inscrit dans une tendance plus large. D’autres projets architecturaux misant sur des surfaces réduites ont fait parler d’eux ces dernières années. C’est le cas notamment de cinq pavillons dispersés dans le parc du Windig, à Fribourg, réalisés en 2012 par le bureau d’architectes LVPH, et primés par la Distinction romande d’architecture 2014. D’une surface au sol de 5,5 par 5,5 mètres, pour 9 mètres de hauteur, les élégantes constructions se déploient sur quatre niveaux. Equipées de manière minimale — une douche, une cuisine, un poêle à bois — elles peuvent servir d’habitation, de bureau ou d’atelier. Ces micro-maisons sont louées pour financer l’entretien du parc, qui est privé.

Autre concept, smallhouse, du bureau d’architectes Bauart, à Berne, Neuchâtel et Zurich, a vu le jour au début des années 2000. Il s’agit de maisons préfabriquées en bois de 11 mètres de long sur 4,4 mètres de large. «La surface totale habitable est d’environ 75 mètres carrés, répartis sur deux niveaux, précise Stefan Graf, associé de Bauart. L’aménagement, qui comprend une cuisine au rez-de-chaussée et une salle-de-bain au premier étage, est très simple. Nous l’envisageons comme une version moderne du ‘Stöckli’, ces petites maisons qui viennent compléter les fermes alémaniques et dans lesquelles vivent les grands parents. Elles peuvent constituer un instrument intéressant de densification dans un quartier de villas, par exemple.»

Une quarantaine de «smallhouse» ont été installées en Suisse et en Allemagne. Elles sont désormais fabriquées en Suisse par Koppmarcelbaut et coûtent 250’000 francs. «Nous constatons un intérêt important pour le concept. La maison ‘smallhouse’ se présente comme un produit, une approche à laquelle les Suisses ne sont pas habitués. La simplicité, mais aussi la réduction radicale à l’essentiel, que certains vivent comme une libération, séduisent.» Quant aux autorisations, la procédure est la même que pour une construction habituelle.

Le défi de la qualité

La poignée de micro-maisons de Suisse ne constitue certes pas un phénomène de fond. Mais les réflexions autour de la taille des habitations se multiplient, notamment dans les villes. «La surface par habitant a beaucoup augmenté en Suisse au cours des vingt dernières années, analyse Bruno Marchand, professeur d’architecture à l’EPFL. Dans les calculs d’aménagement du territoire, on compte aujourd’hui 50 mètres carrés par personne. Il s’agit d’un acquis important qui contribue à la qualité de l’habitat en Suisse. Mais je constate l’arrivée d’une volonté de réduire ces surfaces, pour répondre au besoin de densification, mais aussi pour des raisons économiques: les appartements de grande taille sont chers et trouvent donc plus difficilement preneurs. Le grand défi de la tendance sera de réduire les mètres carrés, sans diminuer la qualité des logements.»
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.