- Largeur.com - https://largeur.com -

La retraite au soleil

Après la vie professionnelle, beaucoup de Suisses émigrent dans des pays chauds où ils bénéficient d’un meilleur pouvoir d’achat, par choix ou nécessité. Ce n’est pas toujours le paradis.

Large20151203.jpg

Une jolie maison blanche au toit plat entourée d’un jardin luxuriant planté de palmiers, d’arbres fruitiers et d’essences de toutes sortes. Un îlot de verdure et de calme au milieu du béton et de l’agitation du «bled-el arbi» de Tunis, la ville arabe et populaire de la capitale tunisienne. Ici vivent Marie-Anne Couvreu, 59 ans, et son conjoint, elle Franco-Suisse, lui Français. Retirés de la vie professionnelle, ils ont choisi, comme beaucoup, de s’expatrier sous d’autres cieux.

«Nous n’aurions jamais imaginé nous installer en Tunisie, raconte Marie-Anne Couvreu, attablée à l’ombre de la tonnelle de vigne et de jasmin. Nous sommes venus juste après la révolution, en janvier 2011. On s’est dit que pour une fois qu’il y avait une révolution, on ne voulait pas la suivre à la radio. Mon compagnon venait d’arrêter de travailler. Je me tâtais pour arrêter également. Nous avions du temps.» Le conjoint de Marie-Anne Couvreu dirigeait une agence de communication, qu’il a vendue. Elle en était la directrice de création. Elle a aussi créé et dirigé une galerie d’arts graphiques à Paris pendant douze ans.

Proximité et coût de la vie

Il faudra attendre plus de deux ans pour que l’achat soit finalisé. Puis il a fallu rénover et faire revivre le jardin. «Nous avons commencé les travaux fin 2013 et nous avons tout de suite planté, planté, planté. Nettoyé et planté.» Sur le terrain du couple se trouve également une autre bâtisse, de style arabe, avec son patio caractéristique. Encore en chantier, elle doit servir à recevoir famille et amis, déjà venus souvent en visite. Les concubins, toujours officiellement résidents français, font aussi régulièrement l’aller-retour avec la France. «Ce n’est pas loin. De Marseille, c’est 1h30 en avion. Et il y a des billets pas chers. C’est quelque chose qui a compté dans notre décision.»

Autre élément qui a compté: le coût de la vie en Tunisie. «Je n’aurais jamais pu avoir une maison comme celle-là en France ou en Italie. On avait un bel appartement à Paris, que l’on a vendu et qui nous a permis d’acheter ici et de faire les travaux. La journée de maçon revient à 25 dinars (environ 12,5 francs, ndlr). A part la maison, que je garde très simple, je ne dépense rien. Vivre ici ne coûte pas cher.» Seul petit luxe: une discrète piscine dans un coin du jardin.

Rares sont les expatriés occidentaux à vivre dans les quartiers populaires de Tunis. «J’ai envie d’habiter dans un endroit «vivant», de pouvoir aller au marché», explique Marie-Anne Couvreu, qui s’est fait plein d’amis en Tunisie. «Dans ce pays, on rencontre très vite des gens. Je peux appeler n’importe qui, pour aller au cinéma ou voir une expo. En plus, tout le monde parle français.» Les deux attentats dans lesquels 59 touristes sont morts cette année n’effraient pas la Franco-Suisse. «Ça ne m’inquiète pas plus ici qu’à Paris, relativise-t-elle, avant d’ajouter: Je me vois bien rester en Tunisie. J’ai aussi un confort de vie qui me permet de prendre l’avion si j’ai envie d’aller ailleurs. Je veux garder cette indépendance-là.»

«Je ne pourrais pas vivre en Suisse»

La liberté de mouvement dont jouit Marie-Anne Couvreu n’est pas donnée à tout le monde. Ute Hobi, 78 ans, s’est installée à Chiang Mai, en Thaïlande, en 1996, après être tombée au chômage quatre ans plus tôt. Elle possède un visa retraite — pour lequel il faut justifier d’un revenu mensuel d’au moins 65’000 bahts, soit environ 1750 francs, ou d’un capital de 800’000 bahts, soit environ 22’000 francs — qui lui permet de vivre à l’année dans ce pays en restant résidente suisse, sans payer d’impôt en Thaïlande. Elle loue une petite maison avec son conjoint thaïlandais. Elle touche uniquement l’AVS et n’a pas d’économies.

La Saint-Galloise se dit «obligée» de rester en Thaïlande car son AVS ne lui permet pas de vivre en Suisse. «J’aurais bien aimé revenir en Suisse pour vivre près de ma famille, mais je ne pourrais pas «vivre», seulement végéter.» Elle met de côté de quoi rendre visite à sa famille en Suisse tous les deux ans. «Ma vie en Thaïlande est un nouvel apprentissage. Ici, le mot solidarité veut encore dire quelque chose, l’entraide existe, ainsi que la tolérance et la gentillesse. La nourriture est saine, les frais médicaux accessibles.» Elle souligne n’avoir pas d’assurance maladie: «Je prie pour que rien ne m’arrive, je ne saurais pas comment payer.»

Vivre en Thaïlande à l’année? Pierre-Alain Perret n’y songerait jamais. Cet ancien enseignant de 66 ans, d’origine vaudoise, ne reste jamais longtemps dans le 40m2 qu’il loue pour 200 francs par mois juste à côté de la station balnéaire de Pattaya, connue pour le tourisme sexuel. Il s’en sert comme base pour rayonner dans toute l’Asie du Sud-Est, notamment au Laos. Le baroudeur, «célibataire endurci», peut compter sur une retraite d’environ 4000 francs par mois, grâce à l’AVS et au 2e pilier. Titulaire d’un visa retraite en Thaïlande comme Ute Hobi, il tient à passer au minimum cinq mois par an en Suisse: «Je ne me couperai jamais de mes racines.»

Choc culturel

Le tableau que Pierre-Alain Perret dépeint de la vie des retraités exilés en Thaïlande n’est pas gai: «Les promoteurs ont compris le business à faire avec la population vieillissante européenne. On leur vend le soleil, les belles filles et des appartements à 30’000 francs, mais c’est un miroir aux alouettes. Culturellement, il n’y a rien. Beaucoup d’Occidentaux s’ennuient à mourir et se réfugient dans l’alcool. On les voit à la plage, le matin, une canette de bière à la main. Les couples ne parlent pas la même langue. A part le sexe, on va être très clair, il n’y a rien. Si un expatrié n’a pas d’activité, il est foutu. Le problème, c’est que beaucoup d’entre eux ont coupé avec leur pays. Ce sont des déracinés.»
_______
CHIFFRE

146’145

Le nombre de Suisses de plus de 65 ans qui vivaient à l’étranger l’an dernier, en hausse de 3,6% sur un an, selon le Département fédéral des affaires étrangères.
_______

Une version de cet article est parue dans le magazine Swissquote (no 5/2015).