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La caméra du futur s’invente à Genève

Destiné au grand public, l’appareil de la start-up Tamaggo permet de prendre des images à 360 degrés en haute résolution. La société a levé une cinquantaine de millions de francs, notamment en Suisse où elle a récemment installé son siège.

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Miser sur l’immersion, plutôt que sur le point de vue. Voilà l’objectif de la société Tamaggo, créatrice de la caméra «Ibi». De la taille d’un gros œuf et d’un poids équivalent à celui d’un smartphone, l’objet tient dans une main et permet de prendre des photos ou de filmer à 360 degrés, en haute résolution. Objectif: plonger le spectateur au cœur de la scène.

Fondée à Montréal, la société entretient des liens étroits avec la Suisse. Sur la cinquantaine de millions de francs qu’elle a levés à ce jour, le trois quart provient de fonds suisses. Parmi les investisseurs, on peut mentionner le réalisateur grison Marc Foster, qu’un collaborateur a croisé dans un avion de retour de Shanghai et à qui il a présenté la caméra, suscitant son vif intérêt. Spécialiste de l’image et conseiller en marketing pour plusieurs compagnies, il est aujourd’hui également conseiller au sein de la société.

Tamaggo vient en outre de déplacer son siège à Genève, où travaillent déjà une partie de sa trentaine de collaborateurs. Concernant ce choix, le fondateur Jean-Claude Artonne, 46 ans, mentionne des conditions fiscales plus attractives qu’au Canada et la possibilité de développer des relations privilégiées avec les universités romandes. Il relève le rôle actif joué dans cette implantation par la promotion économique du canton de Genève et par la fiduciaire genevoise Rhône Finance. «Le Swiss made est un atout de taille, en particulier sur les marchés émergeants et en Asie, où l’on trouve énormément de consommateurs de produits électroniques», souligne l’entrepreneur français qui souhaite, à terme, s’étendre à d’autres activités, notamment dans le domaine des objets intelligents et connectés.

Il relève aussi, paradoxalement, des avantages en matière de coûts opérationnels. «Dans beaucoup d’activités, les ressources humaines coûtent cher en Suisse, mais ce n’est pas le cas dans le secteur des technologies. En Californie par exemple, on se trouve en concurrence avec des géants comme Google et Facebook. Les meilleurs éléments n’hésitent pas à changer d’employeur du jour au lendemain pour aller chercher une meilleure offre. En Suisse, il est possible d’attirer des ressources talentueuses provenant du pays lui-même, mais aussi d’Europe de l’Est et de l’Ouest, sans compter le potentiel de nombreuses écoles comme l’EPFL.»

Dès 500 francs

L’entrepreneur a commencé à travailler dans le domaine de l’imagerie immersive en fondant en France il y a une quinzaine d’années la société ImmerVision, qui a ensuite poursuivi son développement à Montréal. Cette dernière a développé une technologie optique permettant d’améliorer la qualité des images de très grand angle, aussi bien au niveau du logiciel qu’au niveau optique. Cette technique brevetée se trouve aujourd’hui, entre autres, au cœur du Ibi.

Développée durant près de deux ans, la caméra a été présentée en janvier 2012 au Consumer Electronics Show de Las Vegas, où elle est distinguée dans la catégorie «best innovation & design». C’est de là que les concepteurs se rendent compte du potentiel de leur produit et de l’existence d’une demande dans le segment haut de gamme. Le prix définitif de la caméra n’est pas encore arrêté, mais il devrait osciller entre 500 et 600 francs pour une commercialisation prévue dès 2016. Quant à l’autonomie de l’appareil, elle peut aller jusqu’à quatre heures de prises de vues continues. Autre point intéressant: la société a développé un algorithme évitant que les visages des personnes sur la photo ne soient distordus. Quel que soit l’angle de vue, ils restent proportionnés. «C’est important, car personne ne souhaite avoir une tête de patate sur une photo…», sourit Jean-Claude Artonne.

Selon l’entrepreneur, davantage que la 3D, l’imagerie panoramique s’impose comme un trend décisif sur le marché de la prise de vue. Bien que la profondeur permette de nombreuses applications dans les secteurs industriels ou les jeux vidéo, il estime que c’est moins important pour le consommateur que le fait de capturer l’environnement complet dans lequel il se trouve. Il pointe différentes évolutions récentes allant dans ce sens, comme le lancement par YouTube en janvier d’une version permettant la diffusion de vidéos en format 360 degrés ou le rachat par Facebook d’Oculus, société américaine spécialisée dans la réalité virtuelle. D’où l’intérêt de proposer un appareil grand public permettant de créer des images immersives de qualité, étant entendu que le contenu de ces différentes plateformes sera en majorité fourni par les consommateurs eux-mêmes, comme c’est le cas aujourd’hui pour les vidéos et photos traditionnelles.

GoPro dans la course

Plusieurs start-up et différents acteurs comme l’américain Kodak ou le japonais Ricoh se profilent eux aussi dans le segment des caméras à 360 degrés. Pour sa part, le californien GoPro a racheté récemment la société française Kolor spécialisée dans la création de vue panoramique à partir de plusieurs caméras. Jean-Claude Artonne souligne que sa caméra présente la particularité de ne compter qu’une seule lentille: «Elle fonctionne sans collage d’image et n’est pas basée sur le multi-caméra, ce qui permet une utilisation très légère.»

La société ne se positionne néanmoins pas dans la même lignée que la célèbre caméra miniature californienne, qui a su, au passage, développer le marché de la photo numérique que tout le monde pensait tué par le smartphone. «La GoPro permet aux usagers de partager de manière très simple des moments d’activité outdoor, mais à partir d’un point de vue donné. L’esprit reste très centré sur la personne ou sur son action exclusivement. Avec notre caméra, l’objectif est de partager ce que l’on a ressenti, mais aussi tout ce que l’on n’a pas pu voir soi-même.» Exemple typique: photographier un enfant soufflant les bougies d’un gâteau d’anniversaire, en même temps que tous les gens qui l’entourent. Ce qui n’empêche pas la caméra de servir à des activités sportives. Elle peut par exemple être utilisée pour des prises de vues sous-marines, moyennant l’usage d’un caisson de protection.

Selon Christophe Gazeau, bloggeur français spécialisé dans le secteur numérique et directeur conseil au sein du groupe informatique Tata Consultancy Services, le secteur des vidéos à 360 degrés devrait connaître prochainement un essor important auprès du grand public, après plusieurs années d’existence sur le marché professionnel. Outre l’évolution des technologies, il constate une diversification de l’offre amenant une maturité nouvelle dans le secteur. Diverses déclinaisons vont par ailleurs renforcer la branche selon lui, par exemple dans le sport et le spectacle où les expériences immersives se multiplient. «Le marché va mettre un certain temps à se structurer car c’est un écosystème qui se compose de nombreux acteurs», dit-il. En effet, la réussite des fabricants de caméras dépend également du développement des logiciels de montage, des appareils de visionnage tels que les casques de réalité virtuelle, des services qui vont monétiser les contenus, ainsi que des possibilités offertes par la bande passante ou par les appareils de tournage comme les drones.

«La grande question est de savoir quels acteurs vont tirer leur épingle du jeu entre les fabricants de caméras autonomes et les entreprises déjà en place qui développeront la fonctionnalité 360° sur des appareils existants ou au sein de leur gamme.» Selon le spécialiste, l’un des points positifs de la caméra de Tamaggo est qu’elle intègre un logiciel de montage évitant l’étape du stitching (assemblage de photos), rédhibitoire pour un déploiement auprès d’un large public. «Plus globalement, ce marché risque d’être très concurrentiel et donc assez dur pour les nouveaux acteurs ne proposant qu’une caméra, poursuit-il. Dans ce contexte, développer des offres, des partenariats et des activités annexes représente un atout énorme.»
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.