cialis france online

La vie après Skype

Jaan Tallinn a développé la fameuse plateforme d’appels vidéo. Sa prochaine mission? Sauver le monde de la destruction.

Le lancement de Skype en 2003 a révolutionné les habitudes de communication. Jaan Tallinn était parmi les programmeurs qui ont développé cette plateforme internet qui permet de passer des appels gratuits partout dans le monde.

Il est aujourd’hui devenu un mécène influent et a récemment cofondé deux centres pour anticiper les dangers qui menacent la survie de l’humanité: Le Centre for the Study of Existential Risk de Cambridge, au Royaume-Uni, et le Future of Life Institute de Cambridge, dans le Massachusetts. Interview.

En quoi consistent les «risques existentiels»?

C’est par exemple la probabilité qu’une bombe atomique embrase l’atmosphère et annihile l’humanité. Ou encore le risque qu’un astéroïde détruise la planète dans un futur proche; cela peut se produire tous les 10 à 100 millions d’années.

Mais il y a aussi l’intelligence artificielle (IA). Sans vouloir prédire l’avenir, on peut réduire l’incertitude quant à son impact à l’aide d’arguments mathématiques. Sachant que l’agent le plus intelligent tend à dominer son environnement, il est important d’anticiper les risques liés à certains types d’intelligence artificielle.

Pourquoi financez-vous ce type de recherches?

Nous voulons d’abord que ces questions soient étudiées de façon sérieuse. Le but est de permettre à d’éminents scientifiques de faire des recherches sur ces thèmes pour identifier ce que nous pouvons comprendre aujourd’hui et qui sera utile dans 50 ans.

Il y a une montée de ce que l’on appelle l’«altruisme efficace», qui consiste à faire preuve de générosité, tout en rationalisant l’utilisation des ressources pour en optimiser les effets positifs. Beaucoup de personnes impliquées dans ce mouvement s’intéressent au risque existentiel, estimant que dans ce processus d’optimisation, il est important de penser également aux générations futures.

Etes-vous toujours engagé dans l’innovation?

J’investis actuellement dans 34 startups. L’une d’entre elles, Nightingale, automatise les étapes fastidieuses d’une thérapie utilisée pour traiter l’autisme et qui s’appelle l’analyse du comportement appliquée. La technologie permet de conserver un historique de l’effet du traitement sur le comportement de l’enfant. Une autre est Lingvist, une application d’apprentissage des langues. Le concept repose sur une machine-tuteur qui exploite la manière dont l’utilisateur apprend pour adapter l’enseignement.

Mais j’essaie de trouver des co-investisseurs, des personnes capables de réaliser l’audit préalable des startups pour gagner du temps. Le temps est certainement ce que j’ai de plus précieux.

Les communications en ligne se sont beaucoup diversifiées depuis le lancement de Skype. Cette tendance va-t-elle se poursuivre?

Probablement, et ceci pour deux raisons. La première, c’est que l’informatique évolue rapidement: les technologies développées pour d’anciennes plateformes ne sont plus à jour, ce qui crée de nouvelles opportunités. La seconde, c’est qu’il y a des emplois qui n’existaient pas il y a 20 ans et qui nécessitent de nouveaux outils de communication en ligne. Si l’informatique et les emplois continuent d’évoluer rapidement, alors oui, la diversification va se poursuivre.

Je participe, par exemple, au développement d’une application de messagerie nommée Fleep. Elle prend en compte l’importance du contexte, et propose de nouvelles façons de regrouper les conversations avec les mêmes personnes au même endroit. Mon objectif est que Fleep donne contrôle au destinataire plutôt qu’à l’expéditeur. Il suffit de laisser le destinataire donner son avis sur la priorité du message pour créer un système de réputation: si un contact a tendance à systématiquement marquer ses envois comme urgents, ils auront une importance moindre par rapport à un message urgent en provenance de quelqu’un qui ne marque que rarement les siens.

Comment l’Estonie est-elle devenue ce qu’elle est aujourd’hui?

Ce n’était pas gagné d’avance. Pendant l’ère soviétique, seuls un ou deux établissements scientifiques se concentraient sur la cybernétique et créaient des systèmes d’intelligence artificielle. Et, derrière le Rideau de fer, il était particulièrement difficile pour les individus d’avoir accès à un ordinateur. Pour ma part, j’ai eu de la chance. Un jour, les parents d’un de mes camarades de classe cherchaient des élèves brillants pour les initier à l’informatique, et j’ai été choisi. J’ai écrit mon premier programme à 14 ans [Jaan Tallinn a aujourd’hui 43 ans].

Plus tard, Skype est devenu un modèle en Estonie. Le succès de l’entreprise a popularisé la culture de la startup. Je dis parfois, en plaisantant à moitié, que tout le monde se connaît en Estonie, donc chacun peut dire: «Je connais les gars qui ont créé Skype; s’ils peuvent le faire, je peux aussi.» De plus, Skype a directement formé beaucoup de gens au fil des ans.

Pensez-vous que l’Estonie peut encore beaucoup se développer?

L’Estonie est un petit pays où il est malheureusement difficile de monter de grandes entreprises, faute de ressources humaines. Si nous avons pu importer des talents grâce à l’adhésion à l’Union européenne, il est encore difficile d’attirer une main-d’œuvre étrangère à cause de la situation géographique — demandez à tout voisin de la Russie, à l’exception peut-être de la Biélorussie, et ils seront probablement du même avis. Ça n’a pas d’impact sur la vie quotidienne, mais les gens sont sensibles à ce qui se passe en Russie.
_______

Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist (no 6).

Pour souscrire un abonnement à Technologist au prix de CHF 45.- (42 euros) pour 8 numéros, rendez-vous sur technologist.eu