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L’émotion au service de la raison

Quand la peur instinctive des migrants cède la place à une pitié tout aussi instinctive, c’est l’humanité qui gagne

Trop facile. Simonetta Sommaruga peut dire merci aux photographes et cameramen qui ont donné un visage et une réalité concrète, charnelle, aux migrants sur les routes et plages d’Europe. Sa révision sur l’asile a passé devant le Conseil national comme autrefois une lettre à la poste.

De la même et expéditive façon, le postulat de l’UDC exigeant un moratoire d’une année sur l’accueil des requérants a été balayé. Le parti de Blocher ne s’est pas contenté de cette seule obstruction, il a multiplié, tout au long des débats, les chausse-trapes sous forme d’amendements divers. Il ne s’agissait pourtant que de mettre en musique une décision très large du peuple, qui approuvait, en 2013, à 78% la dite réforme, basée sur une sérieuse accélération de l’examen des demandes d’asile.

Mais l’UDC, si on en doutait encore, n’invoque le peuple souverain que quand ça l’arrange, quand ses décisions coïncident avec ses propres fantasmes.

Les agrariens auront beau jeu de stigmatiser le tour indiscutablement émotionnel qu’ont pris les débats. Si certes la question des migrants, comme toute autre, devrait être examinée avec la raison la plus froide et discutée à l’aide d’arguments chiffrés, concrets, réalistes, elle n’en concerne pas moins des êtres humains. Des personnes qui peuvent difficilement être assimilées à des touristes sans soucis, quoi qu’on pense et imagine de leurs motivations à gagner les grasses contrées d’Europe.

Les huées que l’UDC s’est attirées sous la Coupole en présentant son moratoire au moment le moins opportun, n’étaient peut-être pas nécessaires. Et les accusations de «cynisme», de «manque de cœur», d’ «indécence» sans doute un poil surjouées par des parlementaires qui n’étaient pas loin, avant le choc des images, de s’engouffrer, électoralisme oblige, dans le prometteur sillon anti-migrants creusé par l’UDC. Mais ces cris d’orfraie étaient moins déplacés de toute façon que le moratoire lui-même.

L’UDC s’est retrouvée ainsi piégée par une arme qu’elle emploie elle-même jusqu’à plus soif: l’émotion pure, poisseuse à force d’être triturée dans tous les sens. Par la seule puissance d’images, comme celle d’un enfant mort noyé sur une plage, un sentiment irrationnel — la peur d’un prétendu chaos provoqué par le flux des migrants — est balayé par un autre: cette sorte de compassion universelle qu’on voit désormais sourdre de partout.

La peur ni la pitié ne sont sans doute bonnes conseillères, mais entre les deux, l’une a le mérite de correspondre à des principes énoncés depuis l’aube de l’humanité par toutes les grandes civilisations. En gros: ne fait pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse.

C’est un bien curieux renversement auquel on assiste. Voilà que la culture de l’image, stigmatisée par des cohortes de moralistes prompts à dénoncer sa vacuité, ses coupables raccourcis, sa rapidité sans cervelle et son sensationnalisme de pacotille, se met soudain au service des plus vieux principes d’humanité.

Pour ceux que rebuteraient encore l’usage de l’émotion dans ce débat, ils n’ont qu’à relire Kant — un type qui faisait davantage dans le cérébral de haut vol que dans la larme à l’œil — ils arriveront à peu près aux mêmes conclusions. Pour faire court: «Agis de façon à traiter l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne des autres, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen». Amen.