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Toujours connectés, les ados dorment de plus en plus mal

L’invasion des téléphones et tablettes dans les chambres à coucher provoque une diminution du temps de sommeil des jeunes. Les spécialistes s’alarment.

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Programmer le réveil à trois heures du matin pour se retrouver avec des amis sur WhatsApp ou Facebook, une idée saugrenue? Pas quand on a 14 ans. C’est même le cas de plus d’un adolescent sur dix, selon une étude française publiée fin 2014. La recherche révèle aussi que 15% des ados envoient des SMS en cours de nuit, que 11% se connectent sur les réseaux sociaux, tandis que 6% se réveillent pour jouer sur internet.

«Cette vie sociale, affective et ludique qui se développe la nuit chez nos ados altère considérablement la physiologie du sommeil et entraîne des conséquences majeures sur la qualité de la journée suivante», alerte le docteur Sylvie Royant-Parola, présidente du Réseau Morphée — consacré aux troubles du sommeil — à l’origine de l’étude. En effet, selon les spécialistes, les ados ont besoin d’un minimum de neuf heures de sommeil, sans quoi leurs capacités d’attention, de mémorisation et de régulation de l’humeur s’en ressentent, tout comme leur forme physique et le bon fonctionnement de leur métabolisme.

Consultations en augmentation

En Suisse romande, il n’existe pas de chiffres spécifiques à l’utilisation d’internet et des réseaux sociaux la nuit par les 12-19 ans, mais le problème existe. Les consultations d’adolescents au sommeil perturbé ont augmenté de 30% au Laboratoire du sommeil des HUG depuis 2007, selon son médecin adjoint Stephen Perrig, et sont «de plus en plus fréquentes» au Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil du CHUV, selon son médecin chef Raphaël Heinzer: «L’utilisation des réseaux sociaux participe à ce phénomène car leur utilisation le soir tend à retarder l’heure du coucher.»

«Je regarde parfois des séries sur mon smartphone jusqu’après minuit les soirs de semaine, raconte Cindy, une écolière genevoise de 13 ans. Mais je ne suis jamais fatiguée pour l’école et je continue à faire de bonnes notes!» La stimulation vient aussi de l’extérieur. «Quand les messages arrivent sans arrêt sur WhatsApp, j’ai de la peine à déconnecter et à aller me coucher», reconnaît Carolina, 16 ans, collégienne à Bussigny. Et une fois au lit, il n’est pas rare que le sommeil soit interrompu. «Quand je reçois un sms à trois heures du matin, j’y réponds immédiatement», ajoute sa camarade Iris, 15 ans.

«Mes parents ne savent pas»

«Avec les outils numériques, les activités n’ont plus de début ni de fin, elles sont possibles jusqu’à épuisement complet, constate Frédéric Joly du Centre du sommeil Cenas à Genève. Les forfaits illimités, la gratuité et l’interactivité, au cœur des stratégies marketing des opérateurs téléphoniques, des plateformes de jeux en ligne et des réseaux sociaux constituent le plus grand danger pour le sommeil.»

Effectivement, si leur abonnement ne leur garantissait pas des conversations illimitées, Shaïna, Soukeina et Yenoussa — trois copines interrogées à l’Organisme pour le perfectionnement scolaire (OPTI) de Morges — dormiraient probablement davantage. «Comme c’est gratuit, j’y passe des heures, et parfois je suis fatiguée aux cours le lendemain», reconnaît Soukeina 16 ans. «Souvent, j’appelle mes amis vers 22 heures et je ne raccroche que vers une heure. Parfois, on se parle de minuit à trois heures du matin», ajoute Yenoussa, 16 ans. Qu’en pensent leurs parents? «Bien sûr qu’ils ne savent pas, sinon je n’aurais plus de téléphone!», sourit Shaïna, 17 ans.

La question du contrôle parental est difficile. Plus de 95% des jeunes Suisses de 12 à 19 ans possèdent un smartphone, selon l’étude James menée en 2014 par la Haute école des sciences appliquées de Zurich. Cela signifie un accès constant à internet et à leurs amis. L’époque où la connexion au web se faisait uniquement sur un ordinateur qui pouvait être placé dans une pièce commune est révolue. D’autant que le téléphone sert aussi de réveil. Quelle meilleure raison pour un ado que de le garder à côté de lui pendant la nuit?

Outre leur caractère hyperstimulant, les smartphones et autres supports numériques comportent des paramètres techniques qui nuisent au sommeil. «La lumière bleue des écrans peut faire baisser la sécrétion de mélatonine (l’hormone du sommeil, ndlr) le soir, ce qui retarde l’endormissement», indique le médecin Raphaël Heinzer. Le phénomène prend de l’ampleur à mesure que les écrans rapetissent et se rapprochent des yeux.

La diminution de la taille des écrans ces dernières années pose un autre problème. On peut facilement les prendre au lit, ce qui n’était pas possible avec un ordinateur ou une télévision de plusieurs kilos. «Cela implique que les ados sont de plus en plus à l’horizontale, relève le neurologue Stephen Perri. Et lorsqu’un jeune mange, joue, surfe sur internet ou dialogue avec ses amis tout en étant couché, son cerveau acquiert une perception biaisée et n’associe plus le lit à l’activité unique du sommeil.»

Un recadrage s’impose pour aider son ado (et soi-même!) à ne pas sacrifier son sommeil au profit des nouveaux outils numériques. Bonne nouvelle, selon le docteur Raphaël Heinzer, «avec une bonne collaboration de l’adolescent, on obtient souvent des résultats spectaculaires qui lui changent la vie, et celle de ses parents».
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ENCADRE

Les conseils des spécialistes

– Responsabiliser son ado, lui expliquer que bien dormir est nécessaire pour obtenir de bonnes notes, être en forme moralement et physiquement et éviter de prendre du poids.

– Stopper toute activité sur un support numérique après 21 heures, sauf s’il est nécessaire pour les devoirs.

– Sortir tous les écrans et les objets électroniques de la chambre au minimum une à deux heures avant le coucher et privilégier la lecture.

– Installer des bloqueurs de lumière bleue (par exemple l’application f.lux pour smartphone et PC, www.justgetflux.com) sur tous les écrans.

– S’exposer à la lumière naturelle dès le matin, en allant à l’école à vélo ou à pied.

– Favoriser l’activité physique en plein air.

– Le lit de l’ado doit être réservé exclusivement au sommeil.

– Eviter les boissons stimulantes.

-S’efforcer de garder des horaires de sommeil (et surtout de lever) comparables la semaine et le week-end. Réveiller son enfant pas plus tard que 10h le samedi et 9h le week-end. Le laisser dormir jusqu’à midi ne l’aide pas à récupérer le sommeil en retard, car cela va décaler son coucher et rendre le réveil à 7h le lundi encore plus difficile.

– Donner l’exemple en tant que parent.
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Les ados genevois sous la loupe

Une étude sur le sommeil des adolescents genevois s’est déroulée en 2013-2014 sous la direction de l’Université de Genève et des HUG en collaboration avec Stephen Perrig, neurologue au Laboratoire du sommeil des HUG. Près de 400 jeunes ont accepté de porter un bracelet détectant leur état de veille/sommeil pendant deux périodes de deux semaines. En parallèle, ils ont consigné chaque matin dans un agenda leurs activités de la veille et la qualité de leur sommeil. Les résultats préliminaires révèlent que les ados dorment en moyenne moins de neuf heures et que cette durée diminue avec l’âge (d’environ 8h30 chez les 12-13 ans à 7h30 chez les 18-19 ans). Ils indiquent aussi que les adolescents utilisent les médias électroniques (regroupant les supports dotés d’un écran, ainsi que les contenus comme les jeux vidéo et les réseaux sociaux) en moyenne quatre heures par jour, dont une heure et demie après 21 heures.

Pour la deuxième session de deux semaines, les adolescents avaient pour consigne de ne pas utiliser de médias électroniques après 21 heures. Cela a résulté en 13 minutes de sommeil supplémentaires. «Cela ne paraît peut-être pas extraordinaire, mais dans cette population, c’est significatif, commente Stephen Perrig. Cela équivaut à une microsieste.» Les résultats définitifs devraient être présentés à la fin 2015.
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Une version de cet articles est parue dans le magazine L’Hebdo.