Facile et bon marché à mettre en place, les restaurants mobiles se multiplient dans la région. Ils doivent pourtant surmonter de nombreux défis pour réussir.
Le premier Food Truck Festival de Suisse romande s’est tenu fin mai sur la place de la Riponne, à Lausanne. Des centaines de personnes ont répondu à l’appel de la Ville qui avait sélectionné vingt-sept restaurants nomades pour l’occasion. Et, après quelques heures de service seulement, de nombreuses enseignes affichaient déjà sold-out.
Le succès de cet événement témoigne de l’engouement pour cette nouvelle forme de restauration rapide. Venue des Etats-Unis, elle se répand depuis quelques années en Europe, notamment à Londres, Paris ou Bruxelles. «En Suisse, les food trucks sont présents depuis longtemps, mais nous observons une vraie tendance depuis un an, remarque Bettina Höchli, spécialiste des questions alimentaires au Gottlieb Duttweiler Institute de Zurich. Une nouvelle génération de personnes au mode de vie plus mobile mange de plus en plus à l’emporter. Mais elle ne veut plus de fast food. Elle recherche un service rapide mais une alimentation saine, locale et de qualité, ce que mettent en avant la majorité des food trucks.»
Burgers, wraps, spécialités japonaises, mexicaines ou italiennes, les concepts de ces cantines ambulantes, qui affichent des prix par plat allant de 10 à 20 francs, sont variés. Leur nombre se multiplie: 63 food trucks sont annoncés au service de la consommation et des affaires vétérinaires du Canton de Vaud. «Nous recevons actuellement une à deux nouvelles demandes par jour», indique Sabine Nerlich-Pradervand, adjointe du chimiste cantonal. Au total, plus d’une centaine de restaurants nomades sillonneraient aujourd’hui la Suisse romande.
Une roulotte pour 6900 francs
«Ce qui me plaît dans ce modèle, c’est de pouvoir me déplacer», raconte Fabio Pagani, directeur de The Rolling Chefs. L’entrepreneur de 23 ans a démarré avec un premier food truck en août 2014, spécialisé dans les «long burgers» et les wraps, confectionnés avec des produits de la région. Il a ouvert une deuxième roulotte en juillet et se déplace dans plus de 15 villes et villages de Suisse romande, entre Fribourg, Lausanne, Nyon, Vevey, Attalens ou encore Bulle. «En passant d’une ville à l’autre chaque jour, nous touchons davantage de clients d’univers différents. Une roulotte mobile et prête à l’emploi nous permet aussi d’être présents à des mariages, des festivals ou encore des anniversaires. Nous sommes aussi plus près des consommateurs qui nous voient cuisiner devant eux.»
Pour Fabio Pagani, la mobilité permet de fidéliser des clients, transformant sa présence en occasion unique: «Avec seulement deux jours par semaine sur la place de la Riponne, par exemple, j’ai certainement plus de chance que quelques gourmands viennent vers mon food truck que si j’étais là de manière permanente. Ils savent que c’est le jour où The Rolling Chefs est installé à cet endroit.» Autre argument de poids du modèle pour le jeune directeur à la tête de neuf employés, celui du prix de démarrage de son entreprise. Sa première remorque sur mesure, commandée en Pologne, lui a coûté 25’000 francs, plus 5’000 francs investis pour en améliorer la qualité. En tout, Fabio Pagani a pu démarrer son affaire avec 70’000 francs de fonds propres. Une économie certaine par rapport au rachat d’un fonds de commerce (env. 150’000 francs) pour une arcade.
Au-delà des économies d’investissements, Sebastian Graf et Elsa Eggens, fondateurs d’Elsalad, aujourd’hui installé dans des locaux à Genève, soulignent la vitesse avec laquelle ils ont pu monter leur projet de restaurant mobile au printemps 2014: «Nous avions l’ambition de commencer tout de suite avec un restaurant, mais les barrières d’entrée étaient nombreuses à Genève. Nous avions postulé pour une arcade, mais l’attente devenait trop longue… Et puis la Ville de Lausanne avait mis à la même période plusieurs emplacements sur concours pour des food trucks au centre-ville. C’était l’occasion pour nous de tester notre concept de salades créatives.» Le couple, formé à l’Ecole hôtelière de Lausanne, a donc trouvé et rénové une roulotte d’occasion achetée 6’900 francs, en quelques semaines. «Débuter Elsalad sous forme mobile nous a donné une première vue, à petite échelle, de la faisabilité de notre business model et nous a permis de tester nos recettes. Nous l’avons vécu comme un tremplin pour ouvrir ensuite un restaurant en apprenant à gérer les stocks ou encore le service à la clientèle. Mais nous sommes bien heureux d’avoir aujourd’hui un point de vente fixe, car la logistique d’un food truck est terrible.» Les deux directeurs ont toutefois gardé leur roulotte comme point de vente mobile.
Entreprises réticentes
Organiser les déplacements de son camion, la gestion des aliments dans un espace limité, l’essence et les demandes d’autorisations pour un emplacement sur la voie publique ou privée sont quelques-unes des contraintes exposées par tous les gérants de restaurants mobiles interrogés. «Il faut avoir une autorisation pour s’installer sur une place publique, et celle-ci est délivrée par la commune, explique Guillaume Janin, fondateur d’A Table. L’entrepreneur de 37 ans a ouvert son premier bar à pâtes artisanales à Genève en 2009. Il a décidé d’ouvrir un food truck comme point de vente mobile en 2012 et possède aujourd’hui trois arcades fixes et deux triporteurs. «Pour ce qui est des emplacements privés, comme sur un parking d’entreprise, il faut réussir à convaincre la société, parfois réticente en pensant aux éventuelles odeurs que générera la cuisine, au bruit ou encore à l’image véhiculée par l’accueil d’une roulotte. Environ une entreprise sur dix accepte de collaborer.»
Les directeurs soulignent également les incertitudes et les imprévus liés à la tenue d’une cuisine nomade: la météo capricieuse, le mauvais choix d’un événement sportif ou culturel, l’électricité qui ne fonctionne pas ou la crevaison d’un pneu en pleine route. Fabio Pagani, de The Rolling Chefs, indique servir 50 à 150 clients les jours de bonne affluence. «Mais une présence de deux heures à midi ne suffit pas. Il faut aussi être actif le soir pour que cela soit rentable et que cela équilibre un mauvais service à midi par exemple. Le rythme est soutenu.»
Les coûts liés à la gestion d’un food truck peuvent grimper rapidement. Pour répondre aux normes d’hygiène, par exemple, un site de production pour les préparations est nécessaire. Ce laboratoire représente donc un loyer qui s’élève à 500 francs par mois pour The Rolling Chefs. Mais Fabio Pagani a créé un partenariat avec son père, gérant d’un restaurant, et bénéficie d’un tarif préférentiel.
«Pour la roulotte, il faut compter environ 400 francs par mois pour payer les différents emplacements, poursuit Fabio Pagani. Une place quotidienne à Lausanne coûte par exemple 20 à 30 francs. Selon le nombre de manifestations auxquelles nous nous déplaçons le soir, l’essence peut atteindre 700 francs par mois. Et les employés sont naturellement aussi payés lors du transport des véhicules.» Les charges fixes mensuelles, hors salaires et achats de produits pour la confection des plats, se montent à 5’000 francs, pour un chiffre d’affaires d’environ 200’000 francs depuis janvier, précise le jeune chef d’entreprise. «Nous avons atteint la rentabilité après plusieurs mois d’activité, mais ce n’est pas le cas de tous ceux qui se lancent. Sans mettre la clé sous la porte, certains prennent bien plus de temps pour générer du profit et les derniers arrivants rencontreront encore plus de difficultés, par exemple pour obtenir de nouveaux espaces.»
Pour Guillaume Janin d’A Table et Sebastian Graf d’Elsalad, qui ont décidé de décliner leur entreprise en concept fixe et mobile, le modèle du food truck reste très intéressant en termes de visibilité de la marque et pour tester de nouveaux produits avant de les inclure dans la carte de leur restaurant. «Les activités tournent toutefois plus rapidement avec un restaurant, remarque Sebastian Graf. Pour vivre avec une ou plusieurs cantines mobiles, le concept doit rester simple et pouvoir s’adapter aux saisons et aux événements.»
«Le potentiel de croissance de ce modèle reste important, assure la chercheuse Bettina Höchli du Gottlieb Duttweiler Institute de Zurich. Pour le consommateur, avoir un restaurant qui vient à lui est de plus en plus apprécié. Et notre vie quotidienne sera marquée par la mobilité et la flexibilité encore de nombreuses années.»
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.