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Pandora, la radio sur mesure made in USA

La station Pandora domine le marché de la radio en ligne aux Etats-Unis, avec 81,5 millions d’usagers. Son succès repose sur un algorithme inédit qui permet de deviner les goûts musicaux des auditeurs. Portrait.

La file d’attente fait le tour du bâtiment. Les spectateurs qui patientent sous une pluie battante par un samedi glacial de décembre sont venus assister au Discovery Den 2014 de Pandora, une série de concerts gratuits organisés par la radio en ligne au Hammerstein Ballroom, une salle mythique de Manhattan. Ils ont eu droit à trois groupes à la notoriété naissante, The Neighbourhood, Kiezsla et Rudimental. Ces artistes ont été sélectionnés en analysant les goûts des auditeurs de Pandora vivant dans la région new-yorkaise.

Diffusée sur le web aux Etats-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande, la radio en ligne créée en Californie en 2000 permet en effet à l’auditeur de se concocter une playlist personnalisée en sélectionnant une série d’artistes ou de genres musicaux qu’il aime. Il se voit ensuite proposer d’autres formations aux styles semblables, qu’il peut «liker» ou non, afin d’affiner son profil. Le résultat est d’une justesse impressionnante. Un amateur de Jay Z se verra proposer une série d’artistes similaires, comme Kanye West, Big Sean, Wiz Khalifa et Kid Cudi. Plus subtil encore, un fan d’Arcade Fire sera confronté à la fois à des groupes semblables, comme José Gonzalez, Fleet Foxes ou Radical Face, et à des morceaux dont la structure ou les harmonies vocales évoquent ceux du groupe canadien.

L’efficacité de Pandora, qui domine la radio en ligne aux Etats-Unis avec 78% de parts de marché, est due à un concept inédit baptisé Music Genome Project: «Pandora emploie une armée de musicologues qui passent leurs journées à écouter des chansons et à les classer en fonction de 450 variables, explique Mark Mulligan, cofondateur de l’agence Midia Consulting. Chaque morceau est soigneusement disséqué par un expert humain.» Parmi les critères pris en compte figurent l’humeur du titre (joyeux, hostile), le timbre de la voix (grave, aigu) ou encore les types d’instruments utilisés. «Il s’agit de l’algorithme musical le plus puissant au monde», juge l’expert. Le catalogue de Pandora comporte plus d’un million de morceaux.

Ce modèle permet à la station cotée à la Bourse de New York depuis 2011 de se distinguer des services de streaming à la demande comme Spotify, Deezer, Rhapsody ou Rdio, qui permettent certes à l’auditeur de choisir ce qu’il écoute, mais ne font que des recommandations superficielles. Les services de streaming lancés par les géants de la tech, comme l’iTunes Radio et Beats (Apple), YouTube (Google) ou Prime Music (Amazon) jouent pour leur part dans une tout autre ligue: ils servent en premier lieu de produit d’appel pour les autres prestations de ces firmes (e-commerce, publicités en ligne) et ne proposent qu’un choix musical limité.

Pandora se différencie également de ces concurrents par son modèle d’affaires. La majorité des rentrées de la firme (88%) proviennent des courtes publicités qui viennent de temps à autre interrompre le flux musical. «Alors que la plupart des services, à l’instar de Spotify, cherchent à vous pousser vers leurs abonnements payants en vous noyant sous une masse de publicités longues et ennuyantes, Pandora veut au contraire vous garder comme un auditeur gratuit qui écoute les annonces», note Mark Mulligan.

L’usager peut aussi choisir de s’abonner pour 4,99 dollars par mois – en échange de quoi il échappe aux publicités. «Mais les abonnements ne représentent qu’une part minimale des revenus de Pandora, de l’ordre de 12%», relève Andrew Sheehy, le directeur du cabinet Generator Research. La radio ne compte que 3,5 millions d’auditeurs payants sur un total de 81,5 millions d’usagers, soit moins de 5%. A titre de comparaison, Spotify en a 15 millions, sur un total de 60 millions, une proportion de 25%.

Le succès de Pandora s’appuie sur le boom du streaming, dont les revenus ont augmenté de 52% aux Etats-Unis sur les six premiers mois de 2014, alors que ceux générés par les téléchargements payants ont diminué de 13% et que les ventes de CD ont chuté de 20%. En 2014, la firme a généré 920,8 millions de dollars de revenus, en hausse de 44%, dont 732,3 millions de dollars uniquement avec les ventes de publicité. Depuis sa cotation en 2011, sa capitalisation boursière est passée de 2,6 à 3,1 milliards de dollars, avec un pic à 7,5 milliards de dollars au début 2014.

Mouvement de consolidation

Reste qu’à l’instar de la plupart des entreprises proposant ce genre de service, Pandora n’est pas encore rentable. La société californienne a accumulé 112 millions de dollars de pertes depuis sa cotation en Bourse. «Pour générer des profits, elle doit se profiler sur le marché de la radio classique, pense Casey Rae, un professeur adjoint à l’Université Georgetown qui dirige l’ONG Future of Music Coalition. Ce secteur a connu un intense mouvement de consolidation depuis le milieu des années 1990. Il ne reste qu’une poignée de chaînes.» Le gâteau publicitaire qui y est lié atteint 16 milliards de dollars par an.

Or, la webradio est bien positionnée pour s’en arroger une part. «Pandora ne propose que trois minutes environ de publicité par heure, contre une douzaine pour les radios traditionnelles. Elle a de la marge, note Rich Tullo, analyste chez Albert Fried & Co.» Elle peut aussi faire payer davantage aux annonceurs en leur proposant de cibler les auditeurs en fonction de leur sexe, de leur âge, de leur adresse ou même de leurs goûts musicaux, des données qu’elle possède. Quelques essais ont déjà été menés en amont des élections américaines de novembre dernier. Les amateurs de country ont eu droit à des publicités républicaines, alors que ceux aimant la musique classique ont vu des annonces démocrates.

Autre stratégie: négocier à la baisse les droits qu’elle verse aux labels et artistes. L’an dernier, la société a déboursé 446 millions de dollars en «coûts d’acquisition», ce qui représente environ 50% de ses revenus. Elle paye actuellement 0,0015 cent par morceau diffusé (contre 0,5 à 0,7 cents pour Spotify et 0,6 cents pour Youtube). Ce montant est fixé tous les cinq ans par une organisation gouvernementale appelée Sound Exchange créée pour récolter les royalties auprès des radios et télévisions américaines. Or, Pandora a récemment commencé à conclure des accords qui s’affranchissent de ce mécanisme. Elle en a signé un avec Merlin, une plate-forme qui regroupe plusieurs labels indépendants, qui prévoit le versement de royalties moins élevées.

Séduire les constructeurs de voitures

En échange, elle propose aux artistes des prestations personnalisées qu’ils ne peuvent pas obtenir ailleurs. «Pandora vient de lancer un service appelé Artist Marketing Platform qui permet aux artistes d’obtenir des informations sur le profil de leurs auditeurs (âge, localisation) et de voir quelles chansons marchent le mieux, détaille Casey Rae. Ces informations sont très précieuses pour un musicien.» En annonçant le lancement du service, le cofondateur de Pandora ,Tim Westergren, a raconté comment il avait fait une fois dix-huit heures de route avec son groupe pour jouer devant 15 personnes dans le Colorado, faute de telles données.

Elle n’est toutefois pas seule sur ce créneau. D’autres radios en ligne ont vu le jour récemment, comme iHeart Radio, Grooveshark ou TuneIn. Sans oublier le géant de la radio satellite SiriusXM. «Si Pandora veut vraiment se profiler sur le marché de la radio, elle doit absolument figurer sur les tableaux de bord des voitures, pense Mark Mulligan. Cela implique de négocier avec les fabricants de véhicules.» De l’autoroute numérique au bitume…
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (2015, no2).