cialis one daily coupon

Une nouvelle méthode pour assurer la sécurité

Des médiateurs patrouillent désormais dans les grandes cités pour résoudre les incivilités ou les conflits entre voisinage. Un rôle inédit, à mi-chemin entre les policiers et les travailleurs sociaux. Reportage à Vernier.

La priorité, c’est la coursive au 12e étage de l’immense barre d’immeubles du Lignon. «Ces temps, c’est là que ça se passe. Les jeunes s’y réunissent pour boire ou fumer, et les voisins sont dérangés par les odeurs, le bruit ou les déchets», explique Alexis, 48 ans, correspondant de nuit à Vernier, non loin de l’aéroport de Genève. Mais ce mardi soir, l’interminable balcon aux barrières grises est bien calme. Les fenêtres qui y donnent ont presque toutes les stores baissés et il s’en échappe des odeurs de nourriture.

«Les grosses fêtes c’est surtout du jeudi au samedi, parfois le dimanche, ou les jours de paie», relève Claude, 32 ans, bien emmitouflé sous son col roulé en grosse laine et son écharpe, qui dépassent de la veste bleue portant l’inscription «correspondant de nuit». Frileux? Disons que ces professionnels d’un type nouveau arpentent à pied la commune par tous les temps, 7 jours sur 7, de 18h à 2h en semaine, et de 20h à 4h les vendredis et samedis. En moyenne, ils parcourent 15 km par soir. Mieux vaut donc être bien au chaud.

Alternative à la police

La paire s’arrête dans un petit square qui a fait l’objet de plaintes pour nuisances sonores. Mais ce soir, il est désert. «Il y a juste quelques canettes de bière abandonnées», note Claude, ancien videur et réflexologue. Les correspondants de nuit, ou «CN», comme ils s’appellent entre eux, y reviendront pour sensibiliser les fêtards au bruit et à la question des déchets. Au besoin ils leur distribueront des cornets-poubelle qu’ils emmènent dans leur sac à dos de fonction, en plus d’une trousse de pharmacie, du pass pour les entrées d’immeubles, et des prospectus des différents services de la commune.

«Le soir et le week-end, Vernier est couverte par deux patrouilles de police, mais leur territoire va de Dardagny à Versoix (près de la moitié de la superficie du canton, ndlr), pointe le maire, Thierry Apothéloz. Ils viennent donc quand ils peuvent.» Et arrivent souvent trop tard. La commune genevoise la plus peuplée après la ville de Genève a donc mis sur pied le projet pilote des correspondants de nuit en 2011 afin de faire baisser le sentiment d’insécurité de la population, de diminuer les incivilités et de recréer un lien social entre les habitants. Il n’est pas rare que la police leur délègue certaines interventions dites «sociales», préférant donner une chance à la médiation plutôt qu’à la répression. Les correspondants de nuit sont équipés d’un téléphone portable que les habitants peuvent appeler gratuitement.

Rétablir le dialogue

Celui d’Alexis sonne justement. Il s’agit d’un couple qui s’est plaint du bruit chez ses voisins du dessus, et veut savoir où en est le processus de médiation. «On arrive», répond Alexis. Il est 20h20. «Légalement c’est encore acceptable de faire du bruit, mais on ne sait pas s’il est abusif ou s’il s’agit d’un manque de tolérance, résume l’ancien enseignant. De toute façon, nous ne sommes pas là pour prendre parti, mais pour écouter et aider à rétablir un dialogue.»

Dans le hall d’entrée, les noms sur les boîtes aux lettres témoignent de la diversité des habitants du quartier. Les médiateurs passent d’abord chez les voisins incriminés. Devant leur porte, on entend quelques cavalcades et des rires d’enfants, mais rien d’assourdissant. «Qui est là?» demande une femme en anglais. Elle ouvre. Une odeur de curry flotte dans l’appartement tandis que deux enfants en bas âge regardent les arrivants d’un air coquin. «Qu’est-ce que je peux faire? Ils courent…, sourit leur mère d’un air désabusé. Peut-être qu’on pourrait mettre des tapis partout…»

A l’étage en dessous, le couple soupire. «Au début c’était supportable, mais depuis Noël on n’en peut plus. Il y a surtout du bruit entre 18h et 21h, et le week-end parfois jusqu’à 1 heure du matin. Nous travaillons dans le médical et devons-nous lever à 5 heures du matin.» L’épouse dit avoir essayé de parler à ses voisins. «Ils ne m’ont pas ouvert, ils disent qu’ils ne parlent pas français», s’énerve-t-elle. «Nous avons pris le cas en charge, les rassure Alexis. Nous allons essayer d’aider la famille à amener des solutions, mais je vous avertis que ça ne va pas changer du jour au lendemain.»

Nouveau rôle social

Ni policiers ni travailleurs sociaux, les correspondants de nuit ont dû faire accepter leur rôle, inédit en Suisse romande. «Certains nous prenaient pour des forces de l’ordre», raconte Claude. Mais aujourd’hui, la différence va de soi. «Hé salut! Attendez, je parque!», s’exclame un jeune qui débouche à scooter. «Les CN c’est bien, ils me donnent des conseils si j’ai des embrouilles avec mes parents, déclare-t-il. C’est pas comme les flics, l’autre jour ils sont venus à six chez mes parents et m’ont menotté, comme si on était aux Etats-Unis!»

Dans les villes romandes, alors que le sentiment d’insécurité augmente avec le chômage et la précarité, l’activité des médiateurs semble prometteuse. «Actuellement, on travaille et on fait ses courses souvent hors de son quartier, à tel point qu’on peut passer des années sans jamais parler à son voisin, observe Christine Testa, déléguée aux correspondants de nuit. Il y a un travail de proximité à effectuer.»

Le téléphone d’Alexis sonne à nouveau. Un autre habitant se plaint du bruit de ses voisins. «Ca fait quatre ans qu’on subit, on a les nerfs en pelote, dit ce père de famille après avoir servi un thé à ses visiteurs. L’autre jour, mon voisin m’a insulté devant mon fils. Qu’est-ce que je peux faire d’autre à part lui foutre une beigne?» «Est-ce qu’on peut réfléchir autrement?», propose Alexis, d’un ton calme mais ferme. Une demi-heure plus tard, le binôme prend congé. Le problème n’est pas résolu, mais les médiateurs restent sereins. «Le fait qu’on l’ait écouté lui a permis de se décharger et de désamorcer un peu la situation», expliquent-ils.

Il est presque 22 heures. Eclairés par la lune et les lampadaires, les correspondants de nuit retournent à leur local pour manger et remplir le journal de bord avec les événements de la soirée. Ils repartiront ensuite pour une seconde tournée qui se terminera vers 1 heure du matin.
_______

Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères (no 9).

Pour vous abonner à Hémisphères au prix de CHF 45.- (dès 45 euros) pour 6 numéros, rendez-vous sur revuehemispheres.com.