Pourquoi se priver des surprises d’une démarche politiquement très incorrecte? Laissons au Sommet social de l’ONU la lutte contre la pauvreté et soucions-nous un instant des malheurs des riches. Il paraît qu’une nouvelle pathologie a fait son apparition dans la Silicon Valley: le syndrome de la richesse subite.
Les lectrices et lecteurs des rubriques mondaines ne l’ignoraient pas: la richesse est souvent une épreuve plus qu’une bénédiction, elle apporte un lot d’obligations dont les pauvres n’ont pas idée… L’argent est un véritable tyran.
On connaissait l’exemple de John Rockefeller, zillionnaire accablé de tant de soucis qu’à l’âge de 50 ans, pauvre de lui, il avait déjà les traits d’un vieillard (et pas question de lifting à l’époque).
Il y a pire. Dans son autobiographie, la milliardaire libanaise Mouna Ayoub avoue la «Vérité» (c’est le titre du bouquin, qui vient de paraître aux éditions Michel Lafon): elle a été «malheureuse sans le sou, et tout autant avec de l’argent.» Pauvre Mouna qui, de sa demeure flottante – elle habite le voilier Phocéa racheté à Bernard Tapie -, lutte pour garder ses droits sur les enfants qu’elle a eus avec un richissime Saoudien…
Lorsque vous êtes pauvre et malheureux, vous avez un prétexte. Vous pouvez toujours vous dire «si j’étais riche, je serais heureux». Mais devenu riche, vous n’avez plus d’excuse. Vous êtes livré à vous-même et, pour les Chrétiens, sans la consolation d’un monde meilleur dans l’au-delà. La Bible n’est pas tendre avec les riches. On y lit qu’il est plus «facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux».
Mais revenons à la Silicon Valley et à l’émergence de nouvelles anxiétés. Comment supporter psychologiquement la richesse soudaine? Pas facile de changer de standing du jour au lendemain. Des cliniques spécialisées dans «l’aide aux riches à être riches» ouvrent leurs portes à cette surprenante clientèle (lire «Psychologies Magazine», no 185).
Eh oui, les nouveaux riches commencent à disjoncter. A raison d’environ soixante nouveaux millionnaires par jour dans la seule Silicon Valley, ces cliniques ont de beaux jours devant elles. Quitte à se muer, le jour venu, en «aide aux riches à devenir pauvres rapidement», avec cependant une inconnue: qui s’acquittera alors des factures?
Ce nouveau syndrome vient tempérer sérieusement mon envie de gagner des millions. Et cela alors même que «devenir millionnaire n’est pas difficile» (titre d’un dossier de Cash, no 24). L’hebdomadaire zurichois a envoyé ses journalistes enquêter dans la vallée des miracles. Parmi leurs trouvailles, un cours donné dans la Highschool de Woodside et intitulé «How to be a Millionaire».
Pauvres petits écoliers guettés par le syndrome du «let’s-get-rich-quick.com»(le pourcentage de divorces atteint 80% dans les milieux de la Nouvelle économie)! Pauvres millionnaires au bonheur intérieur brut gravement déficitaire! Et pauvres BoBos!
Comment ça, vous ne connaissez pas les BoBos? C’est l’appellation de la nouvelle oligarchie, entre «BOhème» et «BOurgeoisie». Auteur du «Paradis des BoBos, étude sur la nouvelle classe dirigeante et son esprit de conquête» (éditions Simon et Schuster, n’existe qu’en anglais), David Brooks analyse le comportement de ces successeurs des yuppies, hommes d’affaires qui parlent comme des artistes, insistent sur leur mission sociale, sont mordus de créativité et qui considèrent le travail comme une vocation, voire un jeu.
Toutes les victimes de ce Nouveau Monopoly ne peuvent espérer se faire soigner dans une clinique californienne. La manif de dimanche à Genève était là pour le rappeler.
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Une lecture recommandée: «The Trillionaire Next Door», d’Andy Borowitz, journaliste au New Yorker (www.sexytrillionaire.com).