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Le casse-tête de la vente en ligne

Le commerce via internet progresse rapidement en Suisse. Des formalités douanières à la gestion des retours, la démarche comporte pourtant de nombreux obstacles logistiques pour les entreprises.

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Commander des vêtements sur internet, les porter le temps d’une soirée et les renvoyer à l’expéditeur le lendemain, le tout sans débourser un centime: c’est possible et même relativement courant. Ainsi, près d’un article sur deux acheté sur la plateforme allemande de vente en ligne Zalando est renvoyé. Un phénomène pas forcément surprenant lorsque l’on sait que les premières campagnes marketing de Zalando insistaient sur la gratuité des frais de livraison et de retour. Reste que la pratique affecte la société allemande, à tel point qu’elle a depuis changé sa communication. Désormais, c’est son service client et la rapidité de ses livraisons qu’elle met en avant.

Les déboires de Zalando illustrent une réalité qui touche aussi les entreprises romandes: les PME qui optent pour la vente en ligne sont confrontées à de nombreux défis. Selon Patrick Kessler, directeur de l’Association suisse de vente à distance, «les entrepreneurs sous-estiment souvent les difficultés liées au commerce en ligne. La pression sur les prix et les coûts logistiques sont très importants.» Au-delà des frais induits par le traitement des produits retournés, le commerce en ligne nécessite une organisation sans faille. Les produits présentés sur le site doivent refléter la disponibilité du stock en temps réel. De plus, la livraison doit être effectuée le plus rapidement possible, sous peine de perdre le client.

Des paramètres sur lesquels un nombre croissant de PME devront se pencher dans les années à venir. Selon l’étude de Credit Suisse «Retail Outlook 2015», le commerce en ligne devrait représenter 10% du commerce de détail d’ici à 2020, contre 6% actuellement. En 2014, le paysage suisse était dominé par trois secteurs: l’électronique, dont les ventes en ligne ont atteint 1,2 milliard de francs, le textile (1,2 milliard également) et les produits alimentaires (750 millions). Dans le secteur électronique, un quart des ventes s’effectue aujourd’hui sur internet, une proportion importante qui s’explique simplement: les caractéristiques des produits sont clairement explicitées et le besoin de les tester en magasin moindre. Dans le prêt-à-porter, bouleversé par l’arrivée d’acteurs comme Zalando, les achats de vêtements sur internet devraient doubler d’ici 2020, et représenter 28% du chiffre d’affaires de la branche.

Livraison décisive

La livraison, étape décisive pour satisfaire le client, constitue un premier challenge pour les entreprises qui se lancent. La majorité des e-commerçants font appel à La Poste, qui propose un prix de départ de sept francs par colis pour les livraisons dans le pays. C’est la solution choisie, par exemple, par Hadi Barkat, directeur de la maison d’édition lausannoise Helvetiq. «Pour les livraisons en Suisse, je recours à La Poste car le service est très fiable.»

Mais les choses se compliquent pour les livraisons à l’étranger. C’est dans ce cas de figure qu’émerge la question de la localisation du stock. Fondée par un couple de Vaudois, l’entreprise Baabuk, spécialisée dans les chaussures en laine feutrée, a par exemple établi deux stocks: l’un en Suisse pour livrer les clients nationaux et l’autre en Allemagne. «La différence de prix, notamment pour des clients américains, est considérable. Si j’avais tout mon stock en Suisse, le surcoût serait rédhibitoire», raconte la directrice Galina Witting. A contrario, le bijoutier neuchâtelois Urech, qui va étendre son e-boutique à l’Allemagne et à l’Autriche dès avril, ne va pas établir de stock à l’étranger. Pour réduire les difficultés, le directeur Peter Binder a trouvé une autre solution: «Nous travaillons avec une entreprise saint-galloise pour informatiser toutes les procédures liées au passage en douane, comme le règlement de la TVA.»

Retours en pagaille

A l’instar de Zalando, la plupart des e-commerçants sont confrontés à la problématique des retours. Selon Patrick Kessler, de l’Association suisse de vente à distance, les e-boutiques spécialisées dans l’habillement sont particulièrement exposées. «Dans le prêt-à-porter, les taux de retours varient en fonction des produits: pour un T-shirt, nous constatons en moyenne 20% de retours, tandis que pour un jeans, le taux atteint 50 à 60%. Enfin, pour des robes de soirée, la proportion peut monter jusqu’à 80%.» De plus, chaque procédure engendre des coûts assez élevés (entre 4 et 10 francs) qui couvrent par exemple le ré-emballage du produit et sa remise en rayon.

La réputation de certaines sociétés leur permet d’échapper partiellement à la problématique des renvois. «Chez Switcher, le taux de retour est marginal car nous sommes une marque établie et respectée», explique Alban Dupuis, directeur de la griffe lausannoise. De plus, la part des articles renvoyés est très variable selon les secteurs. Les biens électroniques et la joaillerie sont moins affectés par le phénomène. Pour le bijoutier Urech, par exemple, le taux est de 20%, dont la moitié concerne des bagues de mauvaises tailles.

Pour Mikael de Picciotto, le e-commerce manager de Bongénie Grieder, les retours de marchandises, environ 30% des ventes sur internet, sont perçus comme une opportunité. Le groupe de distribution n’offre pas les frais de retour postaux, mais la procédure est gratuite si le client se présente en boutique. «Cela permet d’apporter un service supplémentaire, de renseigner le client et de l’orienter vers un produit plus adapté.»

Externaliser la logistique?

Pour éviter les écueils liés à la vente en ligne, certaines entreprises n’hésitent pas à confier leur logistique à des sociétés spécialisées. «La vente par internet implique une distribution atomisée aux clients individuels qui représente souvent une difficulté pour une entreprise», note le directeur de l’Institut international de management pour la logistique de l’EPFL, Philippe Wieser. La société qui souhaite assurer elle-même cette fonction doit investir lourdement dans un secteur qui n’est pas son activité de base, une option pas toujours souhaitable. Et la livraison n’est pas la seule tâche qui peut être sous-traitée. De nombreuses solutions informatiques permettent d’automatiser la prise de commande. De même, certaines sociétés mettent à disposition des entrepôts et gèrent les livraisons que ce soit à destination des commerces ou des distributeurs.

Switcher figure parmi les PME qui ont opté pour l’externalisation, un pas franchi fin 2014. «Nous pouvons ainsi nous concentrer sur notre cœur de métier: la vente et le marketing», indique le directeur Alban Dupuis. Ce changement a permis à la marque de se passer d’un coûteux département qui employait une trentaine de personnes. Toutefois, Switcher continue à assurer le développement et la gestion de son site internet et de son e-boutique.

Autre exemple, la styliste lausannoise Laure Paschoud ne vend pas directement ses créations sur son site internet. Elle recourt aux services d’un site spécialisé. «La vente en ligne implique une vaste logistique. J’ai donc trouvé intéressant de tester le e-commerce par le biais d’un site qui m’y invitait, plutôt que de devoir mettre toute la structure en place directement moi-même.»

A l’exception de la livraison de colis par la poste, Bongénie Grieder gère tout son commerce en ligne en interne, ce qui lui permet de bénéficier de synergies importantes. «Nos coûts logistiques liés à l’activité en ligne sont marginaux. Nous profitons de services de transport internes et externes qui assurent quotidiennement les flux de marchandises entre nos magasins», explique Mikael de Picciotto. Un modèle qui commence à faire ses preuves: en janvier la division des ventes en ligne était rentable pour la première fois, pour un chiffre d’affaires équivalent à celui d’une petite succursale.

«Les pépins s’accumulent lorsque je livre à l’étranger»

Pour la société d’édition lausannoise Helvetiq, le commerce en ligne réserve parfois de mauvaises surprises.

Hadi Barkat, directeur d’Helvetiq, a vendu ses premiers jeux de société sur internet en 2008. Et pour cause: il n’avait pas de réseau de revendeurs à l’époque. La maison d’édition lausannoise spécialisée dans les livres et jeux de société réalise aujourd’hui moins de 10% de son chiffre d’affaires via le web. Un canal de distribution qui n’entre que très peu en concurrence avec celui des revendeurs. «Il s’agit souvent de clients qui habitent dans des grandes villes et qui n’ont pas le temps de passer chez un détaillant ou de clients qui résident loin des agglomérations», précise Hadi Barkat. De plus, la société n’offre les livraisons qu’à partir de 35 francs, une manière de limiter les risques de perdre de l’argent sur le commerce en ligne. Mais aussi d’inciter les clients à acheter plus de produits, le best-seller «Randos Bière en Suisse» est par exemple facturé 25 francs.

Si la livraison en Suisse ne pose pas de problème, les choses se compliquent dès que l’on traverse la frontière. «Les pépins s’accumulent lorsque je livre à l’étranger», constate le directeur d’Helvetiq, qui évoque le cas d’une commande provenant du pays de Gex qui a nécessité trois envois de colis pour que le client reçoive finalement son jeu de société. Des déconvenues qui affectent également les livraisons en Allemagne, souvent au moment du passage de la douane. Malgré ces impairs, la firme continuera à proposer de livrer ses jeux de société et ses livres à l’étranger.

«Les employés préparent les colis pendant les heures creuses»

Heidi est l’un des pionniers suisses du commerce de vêtement sur internet. L’entreprise envisage d’externaliser sa logistique à moyen terme.

«Au début, nous produisions nos T-shirts dans notre garage et nous les commercialisions sur internet, se remémore Jérémie Jordan, chef de projet. Nous étions parmi les premiers à vendre sur internet en Suisse.» Avant d’emménager dans son magasin futuriste de Neuchâtel en 2014, la marque de vêtements Heidi a successivement occupé trois entrepôts de plus en plus grands. Des changements qui ont accompagné la croissance d’une société qui compte à ce jour 13 collaborateurs.

L’emménagement dans la nouvelle boutique a coïncidé avec une baisse des ventes en ligne: «Malheureusement la nouvelle interface créée pour l’occasion ne fonctionnait pas très bien et, dans le même temps, nous avons privilégié le marketing direct au détriment du web.» Résultat, Heidi a livré moitié moins de colis en 2014 que les années précédentes.

La société gère pour l’instant sa logistique à l’interne. «Cela nous assure une plus grande flexibilité et un contrôle sur la qualité de nos colis, commente Jérémie Jordan. Le stock étant situé sous la boutique, les employés préparent les paquets pendant les heures creuses.» Un mode de fonctionnement pour le moment nécessaire pour une marque qui présente quatre collections chaque année avec des centaines de références. La profusion de produits rendrait une externalisation de la logistique coûteuse.

Toutefois, Heidi externalisera la logistique pour sa nouvelle création, «Chalet Apparel», dont le lancement est prévu pour avril. «Ce sera une marque avec peu de références, et un stock avec une durée de vie élevée». Si l’expérience se révèle concluante, elle pourrait convaincre la direction d’externaliser l’entier de la logistique à moyen terme.
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.