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L’attaque des clones

La copie d’entreprise est devenue un véritable modèle d’affaires, notamment pour les sites web et les applications smartphones. Explications.

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«Copier, c’est rendre hommage», dit l’adage. Pas les responsables d’Airbnb, une plateforme de location de logements de particuliers. Lorsqu’ils découvrent l’existence de Wimdu, un site concurrent reprenant trait pour trait le design et le modèle d’affaires de leur entreprise, ils envoient un e-mail rageur aux 100’000 hôtes enregistrés sur leur plateforme pour dénoncer ces «cloneurs malhonnêtes» et lancer un appel à la délation de ces «escrocs».

Airbnb n’est pas la seule à avoir fait cette expérience. De nombreuses compagnies, souvent américaines, telles qu’Amazon, Facebook, Pinterest et Groupon ont été victimes d’une armée de cloneurs qui répondent aux noms de Team Europe, Found Fair, Project A, Springstar ou Rocket Internet. Tous basés à Berlin, ces copieurs font de l’Allemagne le Taïwan des startup internet. Leur mode opératoire: reproduire pratiquement à l’identique un site internet ou une application dont la rentabilité est avérée. Une tactique astucieuse qui a déjà fait fulminer plus d’un CEO.

«La limite entre un concept original et une copie est souvent assez fine, remarque Jordi Montserrat, responsable de Venturelab, un organisme de soutien aux startup basées en Suisse. Cela peut même être une stratégie de développement tout à fait valable, qui permet de diminuer certains risques inhérents au lancement d’une nouvelle société.»

Le phénomène touche aussi les applications pour smartphones. Exemple avec Uber, une app mettant en relation des conducteurs de voiture avec des passagers. Le concept se voit aujourd’hui décliné à l’infini dans d’autres domaines: un «Uber pour les services à domicile» (Handybook), un service qui connecte médecins et patients à toute heure (Medicast), un «Uber pour qui a besoin d’un avocat» (Lawpal), sans oublier une app uberesque qui permet d’aller faire promener son chien (Swifto).

Ces copies portent non seulement préjudice aux entreprises concernées mais constituent un gaspillage d’énergie à plus grande échelle, estime Zaryn Dentzel, créateur et CEO de Tuenti, premier réseau social espagnol (qui, ironiquement, a été inspiré par Facebook). «Nous sommes allés beaucoup trop loin avec la notion d’entreprenariat, en prétendant que cela allait régler tous les problèmes de l’Europe. Finalement, cela n’a réussi qu’à pousser tout le monde à créer une startup, explique-t-il dans les colonnes du Wall Street Journal. Il y a une réelle menace pour les entrepreneurs de qualité, parce que cela crée trop de bruit sur le marché, un environnement où il est plus difficile d’accéder aux ressources nécessaires, ainsi qu’une bulle économique empêchant les bonnes entreprises et les bonnes équipes de résister aux difficultés.»

Face à ces clones, d’autres spécialistes se montrent beaucoup moins alarmistes. «La nouveauté ne concerne pas forcément le produit en lui-même, analyse Søren Salomo, responsable du département d’ingénierie de gestion à la Danmarks Tekniske Universitet (Copenhague). Elle peut aussi se trouver dans la manière de le vendre, ou dans le fonctionnement même d’une entreprise. Nos études ont montré que durant les premières années de sa commercialisation, un produit présentant une innovation technologique ne se vendait pas forcément mieux. L’effet positif est souvent plus marqué ensuite.»

Les startup en Europe sont-elles condamnées à reproduire les succès d’entreprises américaines? «Non, répond Ciaran O’Leary de la compagnie d’investissement allemande Earlybird. D’une part, il devient toujours plus difficile de trouver des financements pour ce genre de ‘me-too startup’ (littéralement ‘moi aussi’, ndlr). D’autre part, les jeunes entrepreneurs européens sont de plus en plus ambitieux. Les opportunités sont trop grandes à l’heure actuelle pour tomber dans la facilité de la simple copie. Car jamais dans l’histoire économique il n’y a eu autant de possibilités de lancer un produit capable de révolutionner le monde et de le diffuser par internet.»

«Les bons artistes copient, mais les grands artistes volent.» Cette citation attribuée à Pablo Picasso est reprise par Steve Jobs dans le documentaire Triumph of the Nerds sorti en 1995. Adulée par des millions de personnes, Apple n’a jamais fait grand mystère de sa propension à plagier des concepts préexistants. Les entreprises américaines enragées par l’astuce de leurs compétiteurs européens devraient peut-être s’en souvenir.