Depuis les révélations d’Edward Snowden sur les programmes de la NSA, de nombreuses entreprises cherchent à déplacer leur parc informatique afin d’éviter l’espionnage. La Suisse apparaît comme un havre de sécurité.
Jusqu’à aujourd’hui, le coffre-fort helvétique servait surtout d’abri aux capitaux étrangers. C’est désormais un autre genre de trésor qu’on y dépose et que les entreprises internationales s’arrachent. Des données, communément appelées big data, calculées en bytes: gigabytes, terabytes, petabytes. Le poids d’informations qui valent de l’or, voire plus. Surtout quand les espions de la NSA essaient de mettre la main dessus.
Selon une étude menée par l’institut bâlois d’études économiques (IWSB), le volume global de données double tous les deux ans environ dans le monde. Face à une demande croissante de leur conservation et de leur protection, la Suisse se trouve bien positionnée sur la scène internationale. Fiabilité et faible coût de l’électricité, stabilité des conditions-cadres sur le plan économique, politique et social, ainsi que de faibles risques naturels, font qu’elle se place en sixième position des pays européens qui possèdent les plus grandes surfaces de centres de données.
«Nous observons une croissance continue depuis une dizaine d’années et la tendance s’est renforcée récemment, signale Didier Mesnier, secrétaire général d’Alp ICT, une plateforme qui a pour mission de promouvoir le savoir-faire suisse dans les technologies de l’information. Les entreprises sont de plus en plus sensibilisées à la protection de leurs données contre des intrusions extérieures. Et les révélations concernant la NSA n’ont fait qu’amplifier ces craintes. Aujourd’hui, la Suisse est en mesure d’y répondre.» Didier Mesnier n’est pas le seul à prévoir la croissance de ce marché, puisque les analystes de Broadgroup, un cabinet de consulting dans le domaine de l’IT et des data centers, tablent sur une expansion de 63% des surfaces suisses de centres de données entre 2011 et 2016.
C’est ce même horizon de 2016 que l’entreprise d’hébergement numérique Safe Host vise pour lancer ce qui sera le plus grand data center de Suisse. Un bâtiment de cinq étages qu’occuperont 18’000 m2 de serveurs informatiques, près de Gland (VD). Ses clients seront anglais, américains ou russes. «C’est la majeure partie de notre clientèle», explique Faiz Tandon, co-directeur de la société. Ce dernier dit profiter de la publicité que lui apportent les pratiques obscures de la NSA. «Les gens apprécient la stabilité suisse, ou le cadre légal qui favorise la protection des données. Mais la clef, c’est l’électricité. Pour le client, plus de 50% du coût de la conservation des données correspond à sa facture énergétique. Or, la Suisse est autosuffisante à ce niveau et peut assurer des prix constants. Contrairement à l’Italie, où 80% de l’énergie provient du gaz russe, ou le Royaume-Uni qui rachète son électricité à EDF et au Qatar.»
Si Safe Host vise principalement des gros consommateurs d’espace de stockage, ce n’est pas le cas de tous les data centers helvétiques. A Lausanne, dans les locaux de BrainServe, on applique en tout temps le principe de précaution afin de suivre, sans précipitation, les évolutions du marché. «En termes de qualité, nous sommes au sommet, mais en termes de taille, nous restons microscopique sur un marché international ultra compétitif», soutient Claude Gentile, membre de la direction.
«C’est évident que la révélation des pratiques de la NSA par Edward Snowden a permis une prise de conscience au plus haut niveau quant à l’importance de protéger ses données. Dans le milieu, c’était un secret de polichinelle.» Selon lui, si le marché se porte de mieux en mieux, mais on ne se trouve pas devant un tsunami de demandes d’hébergement. Car la maturation du processus se ressentira sûrement d’ici plusieurs années. «Pour les grandes entreprises, bouger un parc informatique entier est long et complexe, explique-t-il. Il y a des implications budgétaires et organisationnelles. Elles prennent leurs précautions et font d’abord appel à des cabinets de consulting, surtout les Big four.»
Aujourd’hui, ce sont d’abord les petites entreprises venues de l’Est qui sont prêtes à faire migrer leurs données en Suisse. «Dernièrement, nous avons signé avec trois sociétés russes, signale Faiz Tandon. Nous avons aussi des liens très forts avec des sociétés basées à Singapour et dans le reste de l’Asie du Sud-Est.» Des entreprises financières principalement, «mais aussi dans d’autres secteurs sensibles comme l’IT, l’alimentaire ou les ONG, souligne Didier Mesnier. Des organisations où une surveillance accrue représente un motif permanent de crainte. Pour elles, la Suisse apporte une image réconfortante.»
Pour rester compétitive dans le marché des data centers, la Suisse peut remercier sa tradition de discrétion forgée par le secteur bancaire. Mais cette image de confidentialité pourrait bien n’être qu’une illusion. «Si vous cherchez à vous cacher de la NSA, ni en Suisse ni ailleurs vous ne serez certains d’échapper à sa surveillance, confie Faiz Tandon. Pour accéder à vos serveurs, peu importe où vous les installez, vous devrez utiliser internet. Et 70% du trafic web transite par les Etats-Unis.»
«D’ailleurs, la Suisse a ratifié un accord de Safe harbor avec les Etats-Unis, poursuit Faiz Tandon. Cela signifie que s’ils veulent accéder aux données d’un de nos clients, il leur suffit d’ouvrir une enquête criminelle et nous serons dans l’obligation de les fournir.» Dans tous les cas, l’impunité ne sera pas la combinaison du coffre-fort numérique suisse.