KAPITAL

Bisbilles genevoises autour d’un palace flottant

Amarré dans la rade de Genève, un superbe catamaran fait depuis peu office de bed and breakfast de luxe. La municipalité l’accuse de ne pas respecter la réglementation et attaque son propriétaire, qui a tout quitté pour lancer float inn.

«Ce navire défigure la rade.» Rémy Pagani, ex-maire de Genève et conseiller administratif de la Ville, résume ainsi sa pensée. «La municipalité a sollicité la justice car il ne respecte pas la législation en vigueur. Pour un tel projet, il faut avertir la Ville et demander une autorisation, ce qui n’a pas été fait.»

Les pérégrinations administratives et judiciaires à venir n’inquiètent pas Jean-Luc Oestreicher, à l’origine de float inn, une formidable aventure dans laquelle il a mis tout son cœur… et son argent. L’histoire commence en 2012, quand ce physiothérapeute genevois apprend qu’il souffre d’une maladie des mains. Impossible d’exercer dans ces conditions: il se voit dès lors contraint de remettre son cabinet. Mais le quinquagénaire ne se laisse pas abattre. Au contraire: il profite de ce coup du sort pour mener une reconversion audacieuse. Son concept? Des croisières ou nuits en bed and breakfast sur le Léman.

Son rêve se concrétise en mai dernier avec le lancement de sa société, float inn, et la mise à l’eau du Sanya 57, un luxueux catamaran de 17 mètres amarré au port des Eaux-Vives à Genève. Des dimensions qui contrastent avec les autres embarcations à quai, à l’ombre du jet d’eau. «Je naviguais depuis longtemps sur des monocoques, des bateaux qui tanguent beaucoup, explique l’entrepreneur. Mais après ma «retraite forcée», je suis parti sept semaines en mer avec un ancien patient, qui possédait un catamaran et m’avait engagé comme skipper. J’ai tout de suite été impressionné par la stabilité du navire. Et j’ai compris qu’il me fallait ce type de bateau pour mon projet.»

Un projet qui requiert des moyens importants: le Genevois a dû investir au total près de 2 millions de francs pour l’achat du Sanya en France et son acheminement. Comme aucune banque ne lui accorde de crédit et qu’il ne parvient pas à trouver de sponsor, il décide de s’autofinancer en vendant sa maison. Il déménagera dans un appartement avec sa famille d’ici à 2016, avec sa femme et ses trois enfants.

Services à la demande

Le navire veut rivaliser avec l’offre hôtelière: cinq chambres doubles munies de salles de bain privatives, une chambre simple, une salle à manger spacieuse qui fait également office de salon, une cuisine ainsi qu’un large pont doté de fauteuils. Un Zodiac permet de se rendre à terre lorsque le bateau est hors de son port d’attache.

Les tarifs, eux, sont à la hauteur du luxe affiché par ce «palace flottant», qui peut accueillir jusqu’à onze personnes. Floatinn propose plusieurs formules: 3000 francs pour la location du bateau à la journée, 4500 francs pour le week-end, 6000 francs pour la croisière de cinq jours. La nuit à quai en chambre double, avec petit-déjeuner, coûte 250 francs. «Dîner face au jet d’eau, dormir sur le lac et se réveiller en admirant la vue par le hublot, quelle expérience fantastique», raconte Caroline Haldemann, une cadre genevoise «amoureuse de la rade» qui a récemment opté pour la formule bed and breakfast du float inn avec son mari.

«Les clients commencent à se succéder, dit Jean-Luc Oestreicher, convaincu de la solidité de son concept. Environ 150 passagers, essentiellement des Genevois, sont déjà montés à bord depuis début mai. Ils peuvent faire escale à différents endroits ou encore, pour les personnes domiciliées sur les rives du Léman, l’amarrer au bord de leur propriété pour accueillir des invités lors d’événements.» Le navigateur se transforme aussi en cuisinier, si les convives le souhaitent.

L’entrepreneur vise aussi la clientèle étrangère: «Plusieurs hôtels de la région sont intéressés à développer leur offre avec des tours en catamaran. Certains envisagent de détacher une partie de leur personnel sur le bateau pour proposer un service très haut de gamme, tandis que je tiendrai la barre.»

Les démêlés administratifs ne semblent pas freiner l’enthousiasme de cet entrepreneur motivé et original. «Malgré ses dimensions, mon bateau n’est pas plus haut que la plupart des autres. De plus, il est amarré à l’extrémité d’un ponton, on ne le distingue pas depuis les quais et je suis en règle avec la capitainerie, qui gère le domaine lacustre.»
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.