CULTURE

Anna Karina est de retour sous le soleil, exactement

Trente ans plus tard, la muse de Jean-Luc Godard réapparaît. Elle publie un disque, magnifique, sous l’égide du compositeur et interprète Katerine.

Anna Karina chante. Pour la première fois depuis plus de trente ans, la voix de «Sous le soleil exactement» retrouve l’ombre des studios, après avoir hanté la Nouvelle Vague et les années yé-yé de ses accents sensuels et taquins. Sous l’égide de Katerine, compositeur et interprète aguerri à l’art de la mise en voix, l’actrice danoise s’approprie un répertoire taillé sur mesure, en équilibre sur un fil tendu au-dessus des abîmes d’un parcours amoureux aux cicatrices saillantes.

Mannequin et actrice en devenir, Hanne-Karine Blarke Bayer de son vrai nom débarque adolescente à Paris, avec la ferme volonté de faire du cinéma. Très vite, son chemin croise celui de Jean-Luc Godard, qui la courtise et l’enlève, pour un singulier voyage de noces au cœur de la Nouvelle Vague. «Le petit soldat», «Une femme est une femme», «Pierrot le Fou», sept films durant, l’idylle se déploie sur grand écran, tandis que se désagrège en privé un mariage infructueux.

Tout en poursuivant une carrière d’actrice auprès des meilleurs réalisateurs de son temps (Rivette, Truffaut, Demy, etc.), Anna Karina chante, sur pellicule davantage que sur disque, et enchante tous ceux qui l’entendent. Parmi ceux-ci, Serge Gainsbourg, qui écrit pour elle une comédie musicale burlesque, «Anna» (1967), four cinématographique mais véritable objet culte auprès des amateurs de l’un et de l’autre.

Dans ce film et sur sa bande originale éditée en disque, Anna Karina se révèle une chanteuse forte, sensuelle et aguicheuse, capable de venir à bout des sortilèges de l’Homme à tête de chou et de ses hymnes psychédéliques à l’anglaise («Sous le soleil exactement», «Roller Girl», etc.).

Cela, Philippe Katerine l’a bien compris. Auteur de quatre albums de chanson française un rien désuète, le Vendéen a mûri au fil des rencontres son art délicat, composant pour lui-même un univers à la fois glaçant de lucidité et empreint d’une nostalgie proche de l’attitude easy-listening, sourire en coin compris.

Surtout, l’auteur de «Je vous emmerde» s’est toujours appliqué, en véritable maître chanteur, à faire donner de la voix aux femmes de sa vie, à commencer par sa sœur et son amie, interprètes espiègles de son second album, «L’éducation anglaise» (1994). Trois ans plus tard, Katerine compose un mini album sous le nom des Sœurs Winchester, composant pour deux anglaises débarquées sur le continent quelques hymnes au shopping et à la galanterie parisiennes.

Avec Anna Karina, la rencontre se passe sur un tout autre mode. Placée sous le signe d’«Une Histoire d’amour», ce nouveau disque met en scène de manière badine l’idylle fantasmée entre la femme mûre et son Pygmalion d’occasion («J’aurais pu être ta maman/ -J’aurais pu être ton enfant» échangent-ils dans «Aimons l’amour»).

Entre l’auteur de «Copenhague» (repris ici par Anna Karina) et la Danoise exilée, l’harmonie n’est pas feinte, Katerine retrouvant par le biais d’un timbre plus âgé la fraîcheur de ses premiers efforts.

Usée et grave, la voix de l’actrice n’est pas sans rappeler celles, diablement séductrices, de Marianne Faithfull ou de Marlene Dietrich dans leur pleine maturité, sur un mode plus intimiste. Complice, tendre et pudique, ce disque aux arrangements très seventies (dominés par les cordes et les sonorités acoustiques) laisse éclater le talent d’interprète d’Anna Karina, magnifique dans son rôle de femme au zénith de son existence. Sous le soleil, exactement.

——-
Anna Karina, «Une Histoire d’amour» (Barclay/Universal)