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L’agriculture, nouvelle industrie high-tech

Loin des clichés, les paysans tirent eux aussi parti des nouvelles technologies, tels que les robots ou les smartphones. Exemples en Suisse romande.

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L’agriculture devient high-tech, en Suisse aussi. Pour produire plus, mais aussi pour produire mieux. Les paysans de la région traient leurs vaches avec des robots et cultivent leurs tomates dans des serres automatisées. Certains utilisent même des capteurs reliés à un téléphone portable qui indiquent les périodes de chaleur du bétail.

Innover apparaît comme une évidence pour les géants de l’agroalimentaire tels que le groupe chimique bâlois Syngenta, qui développent continuellement de nouvelles semences et des produits de protection des cultures. Il en va de même pour les grands de la technologie comme Leica et ses systèmes de guidage de tracteurs par GPS.

Mais les petits acteurs ont une belle carte à jouer eux aussi. «La Suisse romande constitue une région parfaite pour l’innovation, témoigne Benoît de Combaud qui a fondé la start-up CombaGroup pour développer un système de culture de salades entièrement robotisé. J’ai d’abord réfléchi à mon projet en France, mais c’est en Suisse que j’ai pu le concrétiser. Il existe ici un vrai soutien pour les PME qui veulent innover.»

Les paysans romands peuvent bénéficier d’un important réseau de soutien à l’innovation avec des institutions telles que la Commission pour la technologie et l’innovation (CTI), les parcs technologiques et de nombreuses fondations, souligne Jean-Michel Stauffer, conseiller en innovation chez Innovaud.

Le premier parc suisse dédié à l’innovation dans l’agroalimentaire – qui sert d’incubateur pour start-up – est d’ailleurs situé à Molondin, dans le canton de Vaud. «Les multinationales peuvent facilement consacrer un budget important à l’innovation, mais les petites structures ont besoin d’aide et c’est à elles que nous nous intéressons, souligne l’administrateur de l’Agropôle de Molondin, Stéphane Fankhauser. Nous mettons à disposition des infrastructures qui leur permettent de démontrer la faisabilité et l’efficacité de leur projet. Il y a beaucoup à faire entre une idée et sa concrétisation. Il faut progresser vite, car, en face, l’industrie n’attend pas.»

Produire plus, produire mieux

Les défis de l’agriculture moderne sont multiples et poussent les paysans à s’équiper d’outils de pointe. Il faut produire plus sur moins de surface, mais également réduire les distances de transport et l’utilisation de produit chimiques, notamment pour satisfaire les amateurs de produits locaux et bio.

Les agriculteurs 2.0 n’hésitent d’ailleurs pas à souligner les avantages écologiques et économiques des nouvelles technologies: «Les cultures hors-sol et sous serres gérées par ordinateur permettent d’éviter de polluer des nappes phréatiques par des engrais et des pesticides, et elles économisent d’énormes quantités d’eau», assure le maraîcher genevois Claude Janin. «Les tracteurs guidés par GPS nécessitent moins de carburant et optimisent l’utilisation d’engrais et de pesticides en épandant à dix centimètres près», ajoute son frère Damien, qui travaille également dans l’exploitation familiale.

La technologie dans le domaine agricole suscite toutefois de la méfiance chez certains consommateurs suisses, note Claude Janin. «Je trouve assez paradoxal que les gens associent l’agriculture uniquement à son côté traditionnel. Tous les autres secteurs ont évolué au fil du temps, et l’agriculture n’a aucune raison de stagner. Je ne vois pas pourquoi je devrais rester les pieds dans la boue!».

La course à l’innovation ne concerne pas uniquement quelques exploitations isolées. «Depuis une vingtaine d’années, nous nous dirigeons de plus en plus vers ce que l’on appelle l’«agriculture de précision» (un principe de gestion des parcelles qui vise l’optimisation des rendements et des investissements, ndlr)», note Thomas Anken, spécialiste des machineries agricoles à l’Agroscope, l’institut fédéral de recherche agronomique. Mais ce n’était pas gagné d’avance. «Lorsque les robots de traite sont apparus vers la fin des années 1990, ils paraissaient utopiques. On pensait qu’ils ne pourraient jamais remplacer les paysans car la tâche est délicate. Aujourd’hui, environ 300 agriculteurs utilisent cette technologie en Suisse.»

Ce constat d’une agriculture toujours plus sophistiquée est partagé par Patrick Tanner, CEO de la société Anemon, qui a développé un capteur pour détecter les chaleurs du bétail. «La majorité des exploitations agricoles de demain seront high-tech. Pour répondre aux besoins de la production industrielle, elles doivent se munir des moyens technologiques adéquats. D’un autre côté, les petites exploitations, dont l’objectif n’est pas d’atteindre un gros volume de production, conserveront certainement leur côté traditionnel et miseront sur cet aspect pour continuer à séduire une clientèle très locale.» Et Thomas Anken d’ajouter: «Pour celles-là, il est important de se spécialiser. Elles trouvent par exemple un marché intéressant dans l’agrotourisme ou encore le commerce directement à la ferme.»
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PORTRAITS

«La technologie est une alliée pour les agriculteurs»

La société Anemon a conçu un implant vaginal qui détecte les chaleurs du bétail. Une innovation qui fait parler d’elle aux Etats-Unis.

Une vache qui ne porte pas de veau après ses chaleurs, ce sont 600 litres de lait produits en moins, soit un manque à gagner d’environ 500 francs. Pour aider les éleveurs à savoir exactement quand une bête peut être inséminée, la société Anemon, basée à Saint-Imier (BE) et fondée en 2008, a développé un capteur vaginal qui détecte les périodes de chaleur du bétail et envoie l’information par SMS.

«Anemon est née d’un projet transdisciplinaire, mené à la Haute école spécialisée bernoise, qui a mélangé électrotechnique, communication, informatique et sciences vétérinaires, explique le directeur Patrick Tanner. Le produit développé a été le premier à prendre en compte les deux paramètres les plus importants pour déterminer la période de fécondité: la température de la vache et ses mouvements.» Pour développer un prototype commercial, les chercheurs de la Haute école se font conseiller par un coach de la Commission pour la technologie et l’innovation (CTI) et recrutent Patrick Tanner pour la gestion de la société.

Après deux ans de test effectués avec l’aide de vétérinaires, la fiabilité du produit est démontrée et le réseau de clients se met en place. «Pour l’instant, nous commercialisons notre produit surtout par l’intermédiaire de la Clinique vétérinaire du Vieux-Château à Delémont. Nous ne voulons pas développer de vente directe mais passer par des intermédiaires. Nous sommes confiants pour l’avenir: ceux qui utilisent notre capteur nous ont donné des retours positifs. La technologie est une alliée pour les agriculteurs.»

L’innovation a soulevé une grosse vague d’intérêt médiatique en 2009. «Nous avons alors reçu des demandes provenant de partout dans le monde, mais nous n’étions pas encore prêts. Nous cherchons aujourd’hui un partenaire solide pour soutenir notre expansion en Europe. Nous visons surtout les marchés où le prix du lait est suffisamment valorisé pour montrer qu’il y a un retour sur investissement.» L’invention est même connue outre-Atlantique: l’Université du Kentucky, qui travaille avec le secteur agricole, veut tester le capteur helvétique.
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«Il faut adapter les cultures aux besoins de demain»

La start-up vaudoise CombaGroup a inventé la culture de salades entièrement robotisée.

Dans une serre, les salades poussent dans des petits cubes de substrat. Déposés sur des rails, ceux-ci se déplacent automatiquement au cours de la croissance de la plante. C’est la solution développée par CombaGroup, fondée en 2012 par Benoît de Combaud, un ingénieur en logistique. Le Français réfléchissait depuis 2011 à l’élaboration d’un système pour automatiser la culture de salades sous serre. C’est en Suisse qu’il concrétisera son projet.

Il développe un prototype en collaboration avec l’Institut d’automatisation industrielle de la Haute école d’ingénierie et de gestion du Canton de Vaud. Il s’installe ensuite dans les locaux de l’Agropôle de Molondin pour tester son produit. «L’idée m’est venue d’un simple constat: il y a toujours plus de monde à nourrir et de moins en moins de surface pour les cultures. Il faut donc adapter la manière de cultiver aux besoins de demain.»

Pour se lancer, CombaGroup a bénéficié des conseils de la CTI, d’infrastructures mises à disposition par l’Agroscope de Conthey (VS) et d’un prêt de la Fondation pour l’innovation technologique (FIT) à Lausanne après avoir remporté le prix Venture Kick et l’IMD Start-up Competition. Un tiers du financement a été levé de manière participative à travers la plateforme de crowdfunding Innobridge. En 2013, le manager Rodney Reis, d’origine brésilienne et anglaise, rejoint l’équipe comme CEO.

Le dispositif de CombaGroup peut produire des salades dix fois par an contre deux avec la culture en plein champ, ce qui évite aux revendeurs de devoir importer de l’étranger. Il permet aussi d’économiser 90% d’eau par rapport aux cultures traditionnelles, selon Benoît de Combaud. Récupérée, l’eau de pluie est vaporisée sur les racines des salades qui poussent en dessous du cube de substrat, ce qui permet de récupérer et réutiliser les gouttes qui en tombent. La solution a déjà intéressé le producteur vaudois Sylvain &Co ainsi que des gros producteurs suisses et français.

«Notre objectif est de rapprocher les lieux de culture de salades avec les endroits où elles sont emballées et vendues, ajoute Rodney Reis. Pour le moment, il peut s’écouler jusqu’à cinq jours de transport pour les acheminer du Sud de l’Europe. Ce n’est pas idéal pour la fraîcheur des produits et représente un gâchis économique et écologique, surtout si l’on considère le nombre de salades qu’il faut jeter rien qu’après le transport. Comme il n’y a pas encore de leader dans ce domaine, le marché est très ouvert. Notre but est également d’utiliser la chaleur perdue des usines d’emballage pour chauffer les serres.»
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«La technologie me permet de ne pas être esclave de mon travail»

La culture sous serre de l’exploitation maraîchère Bernard Janin a été complètement informatisée pour optimiser au maximum la production.

Sur les écrans d’ordinateurs, une multitude de courbes et de chiffres défilent. C’est l’outil de travail du producteur Claude Janin, fils de Bernard, le patron de l’exploitation fondée en 1925. Ouverture des toits, température ambiante, humidité, taux de CO2, température des plantes: autant de paramètres que le maraîcher contrôle grâce à son ordinateur «climatique». «Cet outil me permet de ne pas être esclave de mon travail et d’avoir une vie sociale. Je peux recevoir des alertes sur mon smartphone si je suis en déplacement et agir directement sur les paramètres nécessaires.»

Les cultures sous serre sont entièrement hors-sol, ce qui économise de grandes quantités d’eau et d’engrais. Ces deux éléments mélangés sont acheminés par des petits tuyaux directement dans des sacs contenant de la sciure de coque de coco, où poussent les plantes. La culture hors-sol et sous serre permet également d’éviter le recours aux pesticides et autres produits chimiques pour traiter les plantes grâce à la lutte biologique, à savoir l’utilisation d’insectes pour se débarrasser des indésirables. Pour la pollinisation, Claude Janin utilise des bourdons.

Son frère Damien gère les cultures de choux, persil, céleris et poireaux dans les champs environnants. Les tracteurs sont également devenus hi-tech. Guidés par un système GPS, ils sont munis d’une antenne sur le toit, d’un écran affichant leur position précise et d’une console permettant d’actionner la machine tractée qui diffuse les intrants (engrais, pesticides et insecticides). «Le GPS me permet de me repérer avec une précision de dix centimètres dans les champs, détaille Damien Janin. Cela est très utile pour ne pas rouler sur des lignes déjà ensemencées ou de ne pas diffuser d’intrants deux fois au même endroit. Vu le prix de ces produits, l’utilisation du GPS représente de précieuses économies».

L’exploitation emploie entre dix à 30 personnes et produit de 500 à 600 tonnes de tomates chaque année. Elle vend ses fruits et légumes à l’Union maraîchère de Genève qui fournit notamment Migros, Coop et Manor.
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«Avec cette machine, nous sommes connus sur toute la planète»

Roi de la carotte suisse, Stoll Frères a contribué à développer la première trieuse de légumes automatique au monde.

«Pour être commercialisée, une carotte doit répondre à plusieurs critères comme la taille, la forme ou encore la couleur, raconte Roland Stoll, qui dirige avec son frère Willy une exploitation agricole près d’Yverdon-les-Bains. Nous avons longuement cherché une trieuse automatique, sans succès. Notre fournisseur a finalement identifié en Belgique un ingénieur de l’Institut supérieur industriel agronomique de Gembloux, qui avait mis au point par un premier prototype. Ensemble, ils ont fondé la société Visar Europe en 2008 pour commercialiser la machine. Nous avons investi pour l’installer et participé au calibrage des paramètres de sélection.»

Cette première trieuse de légumes automatique au monde tourne depuis 2010 dans l’exploitation familiale. Elle sépare les carottes en trois catégories en fonction de leur taille et de leur aspect. Chaque seconde, une douzaine de légumes défilent sous une caméra, sont analysés par un programme de traitement d’image et triés. «Trier les légumes à la main est un travail pénible. Notre machine permet d’économiser quatre à six postes. Aujourd’hui, nous sommes connus sur toute la planète pour avoir développé cette technologie.»

Stoll Frères dispose également de GPS pour diriger ses tracteurs. «Nous pouvons ainsi cultiver jusqu’à 10% de surface en plus. Rationaliser au maximum l’exploitation des terres est devenu essentiel, cela nous permet aussi de réduire notre consommation d’essence et d’engrais.» Premier producteur suisse de tomates, carottes et oignons, Stoll Frères commercialise plus de 35 sortes de légumes sur une surface de près de 380 hectares, dont 19 sous serre.
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Le vertical farming monte en puissance

Dix-sept millions de plantes sur plus de trois hectares (30’000 m2), dans une tour en pleine ville: la plus grande ferme verticale au monde doit voir le jour en mars 2014 à Scranton, en Pennsylvanie (Etat-Unis). Des cultures sous serres, automatisée et nourries par des solutions aqueuses contenant des micronutriments. L’idée paraît saugrenue, mais a l’avantage de rapprocher les points de production et de vente et de satisfaire l’appétit des citoyens pour l’agriculture de proximité. Développé en 1999 par Dickson Despommier de l’Université Columbia à New York, le concept déjà été concrétisé à Vancouver (Canada) où une ferme verticale produit quelque 75 tonnes de légumes par année. Une autre de ces exploitations futuristes, composée de 120 tours de neuf mètres de haut, a été inaugurée en octobre 2012 à Singapour et produit une demi-tonne de légumes par jour.
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.