LATITUDES

Hans Herren, l’Indiana Jones suisse

A la fois chercheur et homme de terrain, l’agronome valaisan a sauvé des millions de personnes de la famine en Afrique. Son secret: utiliser à grand échelle des guêpes tueuses de parasites.

Certains ont surnommé Hans Herren «l’Indiana Jones de l’agriculture». Dans son bureau zurichois, tout juste de retour de Stockholm où il a reçu le Right Livelihood Award, la comparaison le fait plutôt rire. L’agronome suisse de 67 ans a pourtant bien quelque chose de l’illustre aventurier: à la fois universitaire et homme de terrain, il a vécu vingt-six ans en Afrique. Dans les années 1980, il y a piloté un programme pour éliminer un parasite qui menaçait les cultures de manioc. Selon le Prix mondial de l’alimentation qui l’avait distingué en 1995, cette initiative a permis de sauver 20 millions de vies.

C’est un peu par hasard qu’Hans Herren, qui a grandi dans une ferme de Vouvry (VS), arrive en Afrique. Après une formation d’ingénieur agronome à ETH Zurich, il se spécialise dans l’étude des insectes à Zurich et à l’Université de Berkeley, en Californie. «C’est là que je suis devenu radical, s’amuse ce fervent défenseur de l’agriculture écologique. J’ai travaillé avec Robert Van Den Bosch, un gourou de la lutte biologique et l’auteur de l’ouvrage The Pesticide Conspiracy.»

En 1979, Hans Herren met le cap sur le Nigeria, où il a décroché un emploi à l’Institut international d’agriculture tropicale. On lui donne une mission: arrêter la cochenille du manioc, un parasite qui se nourrit de la sève de la plante et la dessèche. Ce fléau se répand à grande vitesse et menace les cultures. Hans Herren parviendra à le stopper grâce à la lutte biologique.

«La chimie ne suffisait pas à enrayer le processus. Le manioc cultivé en Afrique avait été importé d’Amérique. Nous savions qu’un insecte capable de s’attaquer au parasite devait se trouver dans la région d’origine du manioc, une vaste zone qui s’étend du Mexique au Paraguay.» Hans Herren se rend sur place. Sa quête dure une année et demie. Il la poursuit seul ou accompagné de spécialistes locaux afin de pouvoir communiquer avec les paysans.

Dans la jungle d’Amérique

Il finit par trouver au Paraguay l’organisme recherché: une minuscule guêpe qui tue la cochenille en y pondant ses œufs. Après six mois de tests réalisés dans un laboratoire londonien, Hans Herren et son équipe réalisent les premiers essais sur le terrain, au Nigeria. C’est un succès: la présence de la guêpe réduit fortement les populations de cochenilles.

Mais les défis ne s’arrêtent pas là. Les scientifiques doivent ensuite trouver un moyen de toucher un vaste territoire. «En Afrique, la culture du manioc s’étend sur une surface une fois et demie plus grande que les Etats-Unis. Il a fallu trouver un moyen de multiplier les guêpes et de les disséminer.» Avec le financement d’institutions nord-américaines et européennes — notamment de la Direction suisse du développement et de la coopération (DDC) — les scientifiques créent une station de recherche dans laquelle ils mettent en place un élevage du prédateur. Pour toucher les vastes territoires concernés, le centre décide de larguer les guêpes par avion. Ils développent un dispositif pour éviter que les insectes, propulsés à 450 km/h, ne perdent leurs ailes.

Le procédé n’est pas sans danger: «Nos avions ont été la cible de tirs militaires au Ghana à deux reprises. Malgré toutes les autorisations, les soldats n’avaient pas été informés de notre passage. En Tanzanie, l’un de nos engins a été forcé d’atterrir après avoir survolé un camp d’entraînement du parti politique sud-africain ANC situé sur son territoire et qui ne figurait évidemment pas sur les cartes. Les pilotes ont mis deux jours à s’expliquer.»

«Il a fallu douze ans de travail pour que le parasite soit sous contrôle du Sénégal au Mozambique. Le programme a coûté 20 millions de dollars, tous frais compris. J’étais certain dès le début que la méthode allait fonctionner. Mais, dans un monde où l’agriculture est indissociable des pesticides, il a fallu beaucoup d’efforts pour convaincre mes collègues et les autorités des pays concernés de donner une chance à la lutte biologique.»

Nairobi, Zurich, Washington

Après douze ans passés à la tête du Centre international pour la physiologie et l’écologie des insectes à Nairobi, Hans Herren emploie aujourd’hui son expérience africaine pour défendre une agriculture mondiale basée sur des techniques naturelles et promouvoir le développement de petites exploitations dans les pays du Sud. Pour lui, aucun doute possible: cette voie est plus efficace que l’utilisation d’engrais et de pesticides à grande échelle et permet de garantir la sécurité alimentaire mondiale à long terme.

Le Valaisan préside la fondation zurichoise Biovision, qui promeut des méthodes agricoles écologiques, et dirige l’Institut du Millénaire, une ONG basée à Washington active dans le développement durable.

«Il faut un changement de cap radical. On ne peut pas continuer avec une agriculture industrielle de plus en plus coûteuse et polluante, qui surexploite les ressources.» Quant à l’usage d’OGM, il ne trouve pas non plus grâce à ses yeux. «Ils n’empêchent pas l’usage massif de pesticides et menacent la diversité des cultures nécessaire à une production durable. Contrairement à la lutte biologique, ces méthodes ne traitent pas les problèmes à la source, mais uniquement les symptômes. Je suis persuadé que nous faisons fausse route.»
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Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex (no 23).