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Costumes, vélos, meubles… le retour gagnant du sur-mesure

De nombreuses entreprises romandes se sont lancées avec succès dans la production personnalisée. Elles parviennent à se démarquer malgré des coûts de fabrication élevés. Tour d’horizon.

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DahuShaper a trouvé son créneau. Cette PME vaudoise se spécialise dans la fabrication de skis sur mesure. Avec une touche d’originalité: elle propose à ses clients de participer à une des étapes de la confection de l’article. L’entreprise s’adapte ainsi à une nouvelle mode: les consommateurs veulent des produits personnalisés, fabriqués à leur demande. «Après la standardisation massive des biens de consommation, la tendance revient à l’unique, analyse Ralf Seifert, professeur à l’IMD. Les gens cherchent à exprimer leur personnalité à travers les produits qu’ils achètent.» Le sur-mesure ne concerne plus seulement vêtements et chaussures. On peut aussi faire fabriquer son vélo, ses skis, ses meubles et même sa voiture de manière personnalisée.

Les PME romandes sont de plus en plus nombreuses à s’engouffrer dans la brèche. Leur but? Se distinguer de l’offre des grands distributeurs. «Nous mettons en avant d’autres valeurs accrocheuses, comme le Swiss Made, explique Sacha Martin, l’un des jeunes fondateurs de DahuShaper. Si les gens prennent conscience de l’expérience unique qui leur est proposée, ils sont prêts à y mettre le prix.» Les entreprises offrent des services originaux ou cherchent à coller au plus près des besoins des consommateurs.

La société Monogramme, spécialisée dans la confection de costumes et vêtements, se déplace à la demande à la rencontre du client. D’autres entreprises, comme quickmeuble.ch, fonctionnent via internet et proposent des produits réalisables sur mesure en quelques clics. Le sur-mesure se veut aussi de plus en plus accessible. Longtemps réservé aux personnes fortunées, il se démocratise, même si l’article reste plus cher que celui vendu par les grandes chaînes. Par exemple, l’offre de Monogramme se situe entre le costume standardisé vendu par H&M et le costume haut de gamme Hermès ou Dior.

Les PME ne sont pas les seules à miser sur la tendance. «Beaucoup de marques de grande consommation l’exploitent depuis les années 2000», poursuit Ralf Seifert. Certaines grandes enseignes permettent en effet au consommateur de finaliser des produits dont le prototype de base est déjà établi. Adidas et Nike, par exemple, proposent à leurs clients d’apporter une touche personnelle via internet.

Au sein d’autres grandes enseignes, tels les magasins Bongénie, on peut bénéficier de demi-mesure: sur la base d’une pièce déjà existante, le client peut faire ajuster parfaitement son costume à sa morphologie. Cette tendance démocratise le concept du pur sur-mesure et fait du tort aux petits entrepreneurs qui ont du mal à se montrer concurrentiels. Fabricant de vélos depuis près de vingt ans, Aurelio Persico, fondateur de la société genevoise P-a-l-m, déplore cette situation: «Auparavant, je produisais une quarantaine de vélos par année. Maintenant, comme l’industrie propose de plus en plus de modèles personnalisés, je n’en produis plus qu’une dizaine.» Le coût du matériel et le temps consacré à la fabrication ne lui laissent qu’une faible marge, de l’ordre de 10%.

«C’est la vente de ma carrosserie qui m’a permis de me lancer dans cette aventure. Si ma société survit aujourd’hui, c’est parce que je n’ai pas d’employés et que mon loyer est très bas: grâce à un arrangement, mon petit atelier se situe au sein de mon ancienne carrosserie. Si je me mettais à vendre en parallèle des produits standardisés, je m’en sortirais sans doute mieux, mais ce que j’aime, c’est l’expérience que je vis avec chaque personne lorsque je fabrique un vélo.»

Se lancer dans le sur-mesure est donc une aventure périlleuse. Une production à l’unité engendre des coûts considérables. Le défi consiste alors à optimiser le processus de fabrication pour ne pas faire exploser le prix de vente, tout en parvenant à réaliser un bénéfice. «Produire un ski en Suisse coûte sept fois plus cher qu’à l’étranger, note Sacha Martin. Nous avons développé nous-mêmes nos machines au cours de nos études avant de créer la société, ce qui a déjà réduit une partie des charges. Nous avons ensuite reçu deux prix d’aide à la création d’entreprise, qui nous ont permis de rendre notre outillage plus performant. Plus la fabrication est rapide, plus on réduit le coût du ski. Nous arrivons à présent à obtenir une marge de 50% entre les frais de production et le prix de vente.»

Partagés entre innovation et tradition, certains entrepreneurs refusent de révolutionner leur manière de fonctionner au profit des nouvelles technologies qui les éloignent du rapport direct avec le consommateur. «Nous proposons une souplesse que n’ont pas les grandes marques, observe Gianfranco Albertella, actif dans la confection de costumes sur mesure avec sa société Monogramme. Cela reste notre atout.»

Avec l’arrivée d’outils telle l’imprimante 3D, le marché du sur mesure devrait encore connaître des bouleversements. Cette technologie permettra à de nouveaux acteurs de se lancer. Et, concurrence accrue oblige, les petites sociétés devront aussi se montrer de plus en plus inventives pour rester dans la course.
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«Le consommateur est toujours plus en quête de modèles uniques»

Avec Monogramme, Gianfranco Albertella fait venir le costume sur mesure à domicile.

Précédemment actif dans le domaine de l’informatique industrielle, Gianfranco Albertella opère en 2008 une transition de carrière. Son projet de confection sur mesure pour hommes et femmes, il l’a en tête depuis plusieurs années: «Je portais moi-même des vêtements sur mesure, que j’allais faire confectionner en Italie, indique l’entrepreneur. Pour moi, il fallait développer ce secteur en Suisse, le rapprocher de la population helvétique.»

Ce fils de couturière crée donc fin 2009 sa propre entreprise de sur-mesure, Monogramme. La société basée à La Neuveville (BE) propose la confection personnalisée de costumes, chemises, manteaux et accessoires, tels que cravates et boutons de manchettes, pour hommes, ainsi que tailleurs, chemisiers, jupes et pantalons pour femmes. Le prix d’un costume fabriqué sur mesure démarre à 940 francs et peut monter jusqu’à 2500 francs selon le tissu et les options choisis.

La force de Monogramme réside dans le fait que Gianfranco Albertella se rend à domicile ou sur le lieu de travail de ses clients, et cela dans toute la Suisse. «Je n’ai pas d’employés. Je me déplace en personne pour rencontrer ma clientèle, prendre les mesures et élaborer le modèle souhaité. Je travaille ensuite avec différents partenaires exclusivement basés en Europe pour la création des pièces. La confection de vêtements est un savoir-faire qui se perd en Europe. Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises de prêt-à-porter fabriquent leurs produits en Asie.»

Avec Monogramme, Gianfranco Albertella souhaite proposer un service proche de la tradition des tailleurs d’antan, tout en étant innovant, notamment au niveau des coupes et des matières. Il élargit également son offre en proposant l’élaboration de lignes de vêtements pour les entreprises et des produits ciblés, comme des pantalons de golf. «Les consommateurs souhaitent de plus en plus savoir où et comment ont été réalisés les vêtements qu’ils portent et sont en quête de modèles uniques.»
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.