LATITUDES

Coma: prédire le réveil

Grâce à de nouvelles recherches, les médecins peuvent aujourd’hui estimer avec précision si un patient se réveillera un jour ou non. Explications.

Se réveillera-t-il un jour du coma? Répondre à cette question représente un défi de taille pour les médecins, tant ce dysfonctionnement cérébral est complexe. Grâce à de nombreuses recherches et des appareils toujours plus précis, le coma se dévoile progressivement. «Depuis 2010, nous effectuons une batterie de tests à l’aide d’un électroencéphalogramme sophistiqué, qui nous permet d’établir une carte détaillée du cerveau, explique Mauro Oddo, responsable de l’Unité de neuroréanimation du CHUV. Nous soumettons les patients à une série de stimulations sensorielles et observons leurs réactions. A partir de là, il est possible de prédire si un patient ne va pas se réveiller avec une probabilité de plus de 80%, notamment dans un coma post-arrêt cardiaque.»

Cette probabilité pourrait encore nettement s’améliorer suite aux progrès récents de la recherche. En France, à l’hôpital Pitié-Salpêtrière de Paris, une équipe a créé une banque contenant les données de centaines de personnes gravement accidentées et dont le pronostic à un an était connu. Lorsqu’un nouveau patient arrive en réanimation, les résultats de son IRM sont comparés avec ceux de la banque au moyen d’un logiciel spécifique. Les prédictions du réveil ou des séquelles de patients ainsi obtenues se sont pour l’instant révélées fiables.

Mais la vraie révolution pourrait bien venir d’une étude récemment menée au Centre d’imagerie biomédicale (CIBM) de Lausanne, à laquelle Mauro Oddo et Andrea Rossetti, médecin responsable de l’Unité d’épileptologie du CHUV, ont collaboré. Les résultats, publiés dans le journal «Brain», ont dépassé les attentes: «Pour l’instant, nous avons obtenu des prédictions qui étaient de l’ordre de 100%, se réjouit Mauro Oddo, qui précise: le 100% n’existant évidemment pas en médecine, nous allons devoir confirmer ces résultats avec une cohorte de patients plus grande.»

Le test consiste à soumettre les patients à divers stimuli auditifs, puis à observer la réaction de leur cerveau grâce à un électroencéphalogramme. «Dans la phase des soins intensifs, nous plaçons les patients en état d’hypothermie pendant douze heures et abaissons la température de leur corps à 33 °C, détaille Mauro Oddo. Ce traitement permet de préserver les fonctions cérébrales. C’est à ce moment que nous commençons à observer le cerveau de la personne, en observant sa réaction à une série de sons monotones, qui varient dans leur intensité et leur durée. «24 heures plus tard, alors que le patient a été réchauffé et a retrouvé une température normale, l’équipe médicale répète le test. Lorsqu’elle a observé une amélioration entre la première et la seconde session, les comateux se sont pour l’instant toujours réveillés.

Des enjeux éthiques importants

«Nous n’avons pour l’instant testé que 30 patients, ce n’est pas encore assez, estime Mauro Oddo. Nous sommes en train d’en tester d’autres, mais nous souhaiterions en tester des centaines pour confirmer nos résultats.» Cette expérience prometteuse n’a été menée que sur des personnes dont la cause de coma est l’arrêt cardiaque prolongé. Les chercheurs souhaiteraient les appliquer également aux victimes de traumatismes crâniens: «Nous commençons à étudier cette population, car les personnes concernées ont souvent moins de 40 ans. Chez les jeunes adultes suisses, le traumatisme crânien représente la cause première du handicap, il s’agit donc d’un enjeu de société important. D’autant plus que, même si les chances de réveil sont quasi nulles, il est toujours très douloureux de déconnecter un jeune dans le coma.»

Les résultats de ces tests vont pouvoir faciliter des prises de décisions souvent très pénibles pour les familles et le personnel médical. Car lorsqu’on est confronté à des patients comateux, les questions éthiques apparaissent fréquemment. «En Suisse, lorsque nous savons qu’un patient ne va pas se réveiller, nous ne le maintenons pas en vie artificiellement, commente Andrea Rossetti. Un cas comme Ariel Sharon, l’ancien chef d’Etat israélien, dans un état végétatif depuis 7 ans suite à un accident vasculaire, ne peut pas exister ici. Ces questions sont très culturelles et dans des pays comme l’Italie, le Japon ou Israël, il est très compliqué d’arrêter les soins pour une personne, même s’il n’y a plus d’espoir.»

Avec des situations tragiques comme celle de Terri Schiavo, dont le sort avait divisé l’Amérique en 2005. Alors que cette femme de 41 ans se trouvait dans un état végétatif depuis quinze ans suite à un accident cérébral, son mari s’était résigné à mettre un terme à ses souffrances. Ses parents n’étant pas d’accord, il s’en est suivi une série de décisions contradictoires de la justice. A deux reprises, le tube d’alimentation artificielle de Terri Schiavo a été retiré, puis réinstallé, d’abord en 2001, puis en 2003, pour être définitivement débranché deux ans plus tard.
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Entre croyances et réalité

Une patiente se trouve dans le coma depuis quatre ans et tombe enceinte. Elle se réveille suite à son accouchement d’un enfant mort-né et retrouve alors une vie totalement normale. Alicia, l’héroïne du film Parle avec elle (Hable con ella), de l’Espagnol Pedro Almodovar, ne connaîtrait certainement pas le même destin dans la vie réelle. «La plupart des patients ne restent pas dans le coma plus de quatre à six semaines, explique Mauro Oddo, responsable de l’Unité de neuroréanimation du CHUV. Et il paraît très peu probable qu’une femme dans le coma puisse tomber enceinte car ses cycles hormonaux sont perturbés.» Au-delà de la fiction, les croyances à propos du coma proviennent aussi des situations exceptionnelles rapportées par les médias, comme celle de l’Américain Terry Wallis en 2003, qui a prononcé le nom de sa mère après vingt ans passés dans le coma.

Le terme «coma» est par ailleurs souvent maladroitement utilisé. Il existe effectivement différents stades de ce dysfonctionnement cérébral, caractérisés par des signes distincts. «Entre le coma et le réveil, le patient passe souvent par un état végétatif, puis vers un état de conscience minimale, précise Andrea Rossetti, médecin responsable de l’Unité d’épileptologie du CHUV. Dans ce dernier état, les patients réagissent davantage aux stimuli extérieurs. Ils sont, par exemple, capables de sourire ou de suivre leur image dans un miroir. Même s’ils ne peuvent pas communiquer avec leur entourage de façon continue, ils gardent une probabilité de sortir de leur état un jour. Mais plus les semaines passent, plus les chances se réduisent…»
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«Il faut vouvoyer une personne dans le coma»

Karin Diserens, responsable de l’Unité de neurorééducation aiguë du CHUV, s’exprime sur l’aspect éthique des soins donnés aux patients dans le coma.

Il est désormais possible de prédire l’évolution de certains comateux. Quelles sont les conséquences éthiques de ces découvertes?

Ces nouveaux outils vont influencer la décision initiale de savoir s’il faut poursuivre ou non une thérapie pour un patient dans le coma. Une équipe multidisciplinaire discute de chaque cas. Elle intègre des intensivistes, des neurochirurgiens, des neurophysiologistes, des neurorééducateurs et si nécessaire d’autres consultants, selon la pathologie.

Les familles sont-elles aussi intégrées à ce processus?

Oui, leur point de vue est fondamental. Depuis début 2013, elles détiennent d’ailleurs un droit de décision absolu sur le devenir de leur proche.

Est-ce que l’équipe soignante traite un patient dans le coma comme s’il était éveillé?

C’est notre objectif, la principale difficulté résidant dans l’incapacité de communication du patient. Mais l’équipe est tenue de vouvoyer la personne et de lui parler comme si elle comprenait tout. Nous avons également mis en place une échelle d’évaluation de la douleur basée sur l’observation des patients. Nous pouvons repérer ceux qui souffrent et y remédier par une prise en charge de neurorééducation précoce. Ce dernier aspect est important: la recherche clinique a démontré l’effet bénéfique d’une prise en charge très précoce durant laquelle les patients bénéficient d’un programme comprenant de nombreuses stimulations neurosensorielles. Le CHUV est d’ailleurs le premier hôpital universitaire à prendre en charge ces patients aussi tôt dans une unité de neurorééducation.
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