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Les nouvelles armes contre le cancer

Des découvertes très prometteuses ont été effectuées dans le cadre d’essais cliniques. De quoi entrevoir une meilleure prise en charge de la maladie. Eclairage en quatre points.

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«Vous n’avez plus que quelques mois à vivre, une année au mieux.» Cette terrible sentence accompagne encore tant de cancers avancés. Elle pourrait bientôt laisser place à un message plus optimiste: des découvertes réalisées dans le cadre d’essais cliniques ouvrent des perspectives encourageantes quant à la prise en charge de la maladie. Des patients ayant participé à ces essais ont déjà répondu favorablement à ces nouveaux traitements.

«Certaines avancées sont si impressionnantes que je pense que nous pouvons vraiment être enthousiastes, se réjouit Olivier Michielin, oncologue au CHUV, à son retour du meeting annuel de l’American Society of Clinical Oncology à Chicago, en juin 2013. Lors de cette rencontre, l’atmosphère était très optimiste.»

Il faudra néanmoins attendre encore plusieurs années avant l’arrivée de ces thérapies sur le marché. En effet, un médicament doit, avant d’être administré aux patients dans un contexte clinique, passer par plusieurs phases de validation. Si ces pistes prometteuses se confirment d’ici à plusieurs années, elles viendront s’ajouter à d’autres progrès majeurs réalisés dans la prise en charge des tumeurs. L’arsenal thérapeutique du médecin ne cesse de s’étoffer, permettant de personnaliser toujours davantage les traitements. Une pratique déjà constatée aujourd’hui: «Notre manière de prendre en charge les cancers a profondément changé ces dernières années, depuis les diagnostics jusqu’aux choix des thérapies, souligne Roger Stupp, directeur de la clinique d’oncologie de l’Hôpital universitaire de Zurich. Il n’y a pas d’approche unique: c’est souvent la combinaison de différentes stratégies qui amène des progrès décisifs.»

Pour l’instant, l’ablation de la tumeur par la chirurgie reste une étape incontournable pour l’immense majorité des patients. «Lorsqu’une tumeur opérable a été enlevée, il reste souvent des cellules tumorales qui menacent d’amener à une récidive, explique Roger Stupp. Avec ces nouvelles approches, on peut espérer un jour éradiquer la maladie pour de bon.»

1. Immunothérapie: la défense est la meilleure attaque

L’immunothérapie poursuit diverses stratégies afin de renforcer le système immunitaire du patient. «Nous voyons enfin des résultats solides, commente Roger Stupp. Cette approche concerne encore principalement des cas de cancers très avancés, mais elle devrait à terme se montrer très utile lors de stades intermédiaires.»

La première stratégie cherche à stimuler directement la réponse immunitaire, comme le fait Yervoy, qui est utilisé contre le mélanome (une forme très agressive de cancer de la peau). Il s’agit du premier médicament d’immunothérapie à avoir été autorisé par la Food and Drug Administration américaine (FDA) en 2011, également disponible en Suisse.

Deuxième approche: bloquer l’action de protéines déployées à la surface des cellules cancéreuses qui enraient l’activité défensive des globules blancs, les «soldats» du système immunitaire. C’est le mécanisme d’action de la molécule Nivolumab, encore en phase de test aux Etats-Unis, qui a réduit la masse tumorale d’un tiers des patients dont les mélanomes n’avaient pas répondu aux premiers traitements. Une approche susceptible de fonctionner dans une grande variété de cancers, souligne l’oncologue Olivier Michielin.

La combinaison de ces deux approches peut amener des résultats encore plus spectaculaires: lors d’une récente étude sponsorisée par l’entreprise pharmaceutique américaine Bristol-Myers Squibb, l’association de Yervoy et de Nivolumab a réduit de 80% la taille des métastases du mélanome chez plus de la moitié des 53 participants.

Les vaccins thérapeutiques constituent une autre approche de l’immunothérapie, comme Provenge, approuvé contre le cancer de la prostate en 2010 par la FDA, qui est donc disponible sur le marché américain et européen, mais pour l’instant pas en Suisse. Leur objectif est «d’entraîner» les lymphocytes (un type de globules blancs) à reconnaître les cellules cancéreuses, en les mettant en contact in vitro avec des antigènes extraits de la tumeur du patient. Contrairement aux vaccins usuels contre la grippe ou la polio, ce traitement n’a pas de visée préventive mais s’effectue une fois le cancer déclaré.

George Coukos, actuel chef du Département d’oncologie UNIL-CHUV à Lausanne, dirige des travaux sur un vaccin contre le cancer des ovaires dans le cadre de ses recherches à l’Université de Pennsylvanie, auxquelles Lausanne est désormais associée. Combinée au médicament Avastin (voir point 2, Médicaments ciblés), l’immunothérapie a pu stabiliser la progression de la maladie dans des stades avancés. Selon le Prof. Coukos, ce traitement pourrait être disponible pour les patientes suisses dans deux ans.

Un autre vaccin expérimental prometteur a été développé à Genève contre le cancer du cerveau et a été soumis pour approbation à l’agence suisse des médicaments Swissmedic. «Nous avons pu identifier des molécules présentes à la surface des tumeurs pour en tirer un vaccin», explique Pierre-Yves Dietrich. Le directeur du Centre d’oncologie des HUG a reçu pour ses découvertes le premier «Annual Cancer Researcher of the Year Award» décerné par l’association américaine Gateway for Cancer Research.

Une poignée de traitements ont déjà été commercialisés, mais la plupart ne sont pour l’instant accessibles qu’à travers des essais cliniques, note Roger Stupp. «Les patients suisses devraient s’informer et demander à leur médecin si participer à une étude pourrait les aider dans leur combat contre la maladie.»

La dernière approche est la plus ambitieuse: la thérapie génique consiste à ajouter un gène spécifique de la tumeur cancéreuse à des globules blancs extraits du corps du patient. En mars 2013, une étude relatait dans Science Translational Medicine un cas spectaculaire: la guérison éclair par thérapie génique de cinq patients atteints de leucémie, dont la plus rapide s’est faite en huit jours. Mais l’approche utilisée par les chercheurs du Memorial Sloan-Kettering Cancer Center (New York) reste expérimentale: l’Union européenne n’a pour l’instant autorisé qu’une seule thérapie génique contre une maladie génétique rare non liée au cancer (l’insuffisance de la lipoprotéine lipase).

2. Médicaments ciblés: les espoirs de la médecine personnalisée

Il y a cancer et cancer. Autrefois classées par organe, les tumeurs sont désormais identifiées selon leur mode d’action biochimique, c’est-à-dire la manière dont les cellules réagissent entre elles. La «médecine personnalisée», qui veut reconnaître chaque type de cancer et l’attaquer de manière individualisée, prend une place de plus en plus grande dans les thérapies. «Des résultats révolutionnaires ont été amenés par Glivec, l’un des premiers médicaments ciblés, indique Martin Fey, directeur de la Clinique universitaire d’oncologie médicale à l’Inselspital de Berne. Ce traitement peut guérir la leucémie myéloïde chronique, une maladie autrefois incurable.» Parmi les médicaments ciblés les plus connus: Herceptin pour certains cancers du sein (autorisé en Suisse depuis 1999) ainsi qu’Avastin (depuis 2004), qui s’attaque à la vascularisation nourrissant la croissance des tumeurs.

Ces médicaments agissent sur des cibles moléculaires précises, au contraire de la chimiothérapie classique qui touche également fortement les tissus sains. «Certaines tumeurs, qui sont activées par des mutations de l’ADN, peuvent être identifiées par une analyse génétique, explique George Coukos. Elles procurent ainsi un grand nombre de nouvelles cibles pour des thérapies ciblées, qui fonctionnent en bloquant les défauts générés par la mutation. Certains résultats sont spectaculaires.» Leur utilisation en thérapie passe d’abord par un test diagnostique qui s’assure que le type de tumeur est bien susceptible de réagir au médicament.

Les traitements ciblés développés pour l’oncologie depuis une quinzaine d’années constituent autant de nouvelles armes pour l’arsenal à la disposition des médecins. Ceux-ci les engagent d’ailleurs souvent en combinaison: chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie. Une autre manière de personnaliser le traitement pour chaque patient.

3. Chimiothérapie: la révolution nano

La chimiothérapie détruit les tissus cancéreux à l’aide de molécules puissantes, mais touche également les tissus sains. De nouvelles techniques issues notamment de la nanomédecine veulent déployer cette arme lourde de manière plus sélective.

Une idée ambitieuse actuellement développée dans les laboratoires de recherche, consiste à enfermer des molécules de chimiothérapie à l’intérieur de nanoboîtes graisseuses, sur lesquelles il est possible d’attacher des protéines à même de se fixer sur les cellules cancéreuses. La boîte se fait ensuite avaler par la tumeur et délivre le produit chimique à l’intérieur de la cellule cancéreuse — un cheval de Troie microscopique.

Les premiers nanomédicaments autorisés fonctionnent de manière plus simple, comme Abraxane ou Doxil. Ce dernier, qui est disponible en Suisse, s’accumule naturellement dans les tissus cancéreux car les nanoboîtes possèdent exactement la bonne taille pour passer à travers les parois poreuses des vaisseaux sanguins menant aux tumeurs.

D’autres techniques plus traditionnelles permettent aussi d’injecter le traitement directement sur la tumeur. Francis Munier de l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin (Lausanne) a développé une nouvelle méthode pour soigner les yeux d’enfants atteints de rétinoblastome (cancer de la rétine) avancé. Disponible en Suisse, cette procédure consiste en l’injection de la chimiothérapie directement dans le corps vitré de l’œil sans risquer de propager la tumeur, grâce à une fine aiguille refroidie à -70 °C. L’œil a pu être sauvé dans 20 cas sur 23, avec une rémission de 100% deux ans après l’intervention.

4. Radiations: plus précises et mieux dosées

Certains prédisaient son déclin, à tort. Apparue à la fin du XIXe siècle, la radiothérapie a accompli de grands progrès ces dernières années: les rayons X atteignent de manière toujours plus précise les cellules cancéreuses, évitant ainsi de mieux en mieux les tissus sains environnants.

De manière générale, les progrès de la radiothérapie sont indissociables de ceux de l’imagerie (scanners, IRM, PET), selon Stephan Bodis, expert de la radiothérapie oncologique à l’Hôpital cantonal d’Aarau. Ces appareils permettent de repérer et de cibler des zones toujours plus précises. «Dans certains cas, on peut utiliser une seule dose d’irradiation dans un très petit volume, qui peut suffire à elle seule à détruire la tumeur.» Cette dernière technique appelée stéréo radiothérapie ou radiochirurgie passe par des appareillages de haute précision, tels que le Gamma Knife. Le potentiel de la radiothérapie pourrait être encore optimisé grâce à de nouvelles approches, parmi lesquelles la radiothérapie en flash. «Cette innovation est basée sur une technique de rayonnement très intense et extrêmement rapide, explique Jean Bourhis, chef du Service de radio-oncologie du CHUV, qui teste depuis cet automne en exclusivité mondiale cette approche. La dose de rayons délivrée actuellement en cinq minutes l’est en 0,1 seconde.»

Les premiers essais porteront uniquement sur des tumeurs peu profondes, notamment au niveau de la tête et du cou. «Sur le long terme, la radiothérapie en flash pourrait être utilisée pour tout type de cancers, estime le radio-oncologue. Elle a pour avantage de réduire les inflammations des tissus sains avoisinants, ce qui nous permet d’augmenter les doses. Nous pourrons donc y recourir pour traiter les cancers les plus résistants.»

Collaboration: Melinda Marchese
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