CULTURE

Toscani-Benetton: le divorce était programmé

Après dix-huit ans d’une collaboration émaillée de scandales, le groupe italien a annoncé qu’il se séparait de son directeur artistique. Dommage.

Il est toujours facile, a posteriori, de prétendre qu’on s’y attendait. Que l’événement était prévisible. Que la surprise était programmée. C’est pourtant l’impression tenace que me laisse l’annonce du divorce entre Oliviero Toscani et la compagnie Benetton. J’en viens même à me demander comment une telle alliance a pu durer si longtemps. Car si chaque nouvelle provocation du photographe italien réussissait à enflammer l’espace médiatique, il restait toujours quelques endroits curieusement épargnés par la polémique: les boutiques Benetton.

Qui a vu des images de malades du sida, de réfugiés albanais, de victimes bosniaques ou de condamnés à mort américains dans un magasin estampillé «United Colors»? On les cherchait en vain, elles n’y étaient pas. A la place, le fabricant textile continuait à afficher les photos de jeunes gens proprets et ethniquement variés qui avaient fait sa réputation dans les années 80.

Les médias pouvaient disserter autant qu’ils le voulaient sur la valeur éducative ou sur le cynisme des campagnes Toscani: les lieux de vente de Benetton restaient hermétiquement isolés du débat; de peur, sans doute, que les «mauvaises vibrations» dégagées par ces images de mort ne dissuadent les clients d’y mettre les pieds.

Toscani lui-même reconnaissait le paradoxe: «J’essaie de parler un langage dont certains prétendent qu’il va dans le sens inverse des intérêts de l’entreprise, tadalafil cialis 200mg récemment au magazine Salon. Parfois, on me dit que si je continue, Benetton va disparaître. Je ne le pense pas. Au contraire, les gens sont beaucoup plus intelligents que ne l’imaginent les pros de la pub et du marketing.»

Les «pros de la pub et du marketing» de la marque italienne auraient-ils brusquement perdu la confiance qu’ils plaçaient dans l’intelligence de leurs clients? Officiellement, il s’agit d’un divorce à l’amiable. Après 18 ans de succès, le photographe et le fabricant auraient décidé d’un commun accord de mettre fin à leur collaboration. Oliviero Toscani occupera désormais le poste de directeur artistique de Talk – le magazine lancé par Miramax et la passionaria des dîners new-yorkais Tina Brown – pour lequel il travaillait déjà depuis quelques mois.

Quant aux prochaines publicités Benetton, elles devraient être réalisées par la Fabrica, l’école de design multimédia et multiculturelle créée à Trévise par Oliviero Toscani.

Au delà des formules polies, le scandale suscité par la dernière opération publicitaire du groupe – qui montrait des condamnés américains attendant la mort dans leurs cellules – n’est sûrement pas étranger au divorce. La réalisation de cette campagne budgétée à 10 millions de dollars avait duré plus de deux ans, et quand les visages des meurtriers ont été placardés sur les murs, les familles des victimes se sont réunies en association pour appeler au boycott.

Au début de l’année 2000, ces familles ont réussi à convaincre le géant de la distribution Sears, Roebuck and Co de laisser tomber Benetton. Un coup dur pour le fabricant, qui comptait justement sur l’accord conclu avec Sears pour redynamiser ses ventes aux Etats-Unis, son principal marché.

Dans la foulée, l’état du Missouri a initié une poursuite contre le groupe italien, affirmant que Toscani et le journaliste Ken Shulman avaient trompé les prisonniers en leur faisant croire qu’ils travaillaient pour un reportage de Newsweek. Ce procès pourrait coûter plusieurs millions de dollars à la firme.

Et comme si cela ne suffisait pas, l’assemblée de Californie vient de suivre l’état de Pennsylvanie, qui appelle à un boycott national de la marque italienne. «Nous n’avions peut-être pas bien calculé l’impact émotionnel que susciterait une telle campagne», a déclaré le porte-parole de Benetton, Frederico Santor.

Toscani n’a sans doute pas résisté à la pression des actionnaires qui demandaient son départ, et c’est dommage. Il ne bénéficiera plus de la fantastique chambre d’écho que lui offrait le budget de Benetton, et c’est regrettable. Car son travail était plus proche de l’art contemporain que du commerce par l’image, plus proche de la chronique sociale que de la communication marketing.

Les publicités de Toscani étaient tellement peu efficaces que Benetton refusait de les placer dans ses magasins. Une alliance comme celle-là ne pouvait pas durer.