Malgré l’évolution des mœurs en matière de sexe, nuits de noces et lunes de miel restent des étapes indispensables pour les jeunes mariés. Hôtels et tours opérateurs en profitent.
Ils habitent ensemble et partagent le même lit depuis des années. Des nuits romantiques et des escapades en amoureux ? Ils en ont déjà vécus des dizaines. Mais s’ils décident de se marier, bien des couples ne conçoivent pas de renoncer à la nuit de noces et à la lune de miel, étapes traditionnellement vouées à la découverte sexuelle de son partenaire. Si elle a perdu sa valeur de rite de passage, la nuit suivant le mariage demeure un symbole de nouveau départ important à célébrer.
La tendance? Champagne, dentelles et pétales de roses dans un cadre luxueux ou atypique, comme un igloo ou une cabane dans les arbres. «Sans la nuit de noces, le mariage aurait eu un goût d’inachevé, raconte Sara, trentenaire genevoise active dans le domaine bancaire qui s’est unie à son compagnon en février 2012 dans un grand hôtel. A mes yeux, elle a de l’importance. Pas comme à l’époque de nos grand-mères, mais pour le côté romantique: se retrouver à deux, enfin mariés, dans une belle suite.»
Cette attention s’inscrit dans l’air du temps: jamais les couples n’ont autant investi dans leur mariage, institution malmenée par mai 68 qui connaît aujourd’hui un retour en grâce. La sociologue française Florence Maillochon, chargée de recherche au Centre national de la recherche scientifique, observe que «les nuits de noces sont davantage préparées qu’il y a dix ou vingt ans. Dans les cérémonies de mariage, plus rien n’est laissé au hasard. L’importance du décor et de l’apparat se développe fortement, ce qui vaut aussi pour la nuit.»
A en croire la multiplication des offres dans les agences spécialisées et les magazines de mariage, nuit de noces et lunes de miel connaissent même un regain d’intérêt. La plupart des palaces de Suisse proposent des arrangements dans des «suites de rêve» et les «wedding planners», qui fleurissent dans la région, proposent de se charger de cette étape pour leurs clients.
Du côté des voyagistes, la demande pour les lunes de miel à l’étranger est élevée. Ces séjours représentent d’ailleurs le cadeau de mariage le plus fréquemment demandé. Pour Simon Marquard, porte-parole chez Kuoni, les jeunes mariés sont prêts à débourser des sommes importantes, qui atteignent souvent plusieurs milliers de francs.
«De nombreux couples veulent s’offrir quelque chose d’unique qu’ils ne feront qu’une fois dans leur vie. Il s’agit d’un créneau qui marche fort. Nous avons d’ailleurs participé dernièrement pour la première fois à un Salon du mariage afin de présenter notre offre.» Les plages paradisiaques de l’Océan indien ou de la Polynésie constituent les destinations les plus en vogue, suivies des safaris en Afrique du Sud ou en Tanzanie.
Fatima, 43 ans, et José, 37 ans, qui habitent Genève et travaillent dans les secteurs de la conciergerie et des transports publics, se sont permis cette folie. Ils se diront «oui» en septembre et s’envoleront ensuite vers l’Ile Maurice et un hôtel cinq étoiles les pieds dans l’eau. Au programme: 10 jours en pension complète dans une suite avec piscine privée, jacuzzi et sauna. «Nous partons juste après le mariage, qui sera plutôt consacré à réunir les amis et la famille. Pour nous, c’est un rêve qui devient réalité. Nous voulons profiter de l’occasion et penser à nous loin de la maison. Ce sera notre jardin secret.»
Ces étapes apparaissent comme une opportunité pour se faire plaisir. Mais ont-elles encore une signification particulière? Pour Christian Reichel, conseiller conjugal responsable d’Antenne couples, à Lausanne, la réponse est oui. Il note que la «première nuit» en tant que mari et femme véhicule encore quelque chose de mythique. «Nuit de noces et voyage de noces font partie des aspects fondateurs du couple. Ceux qui franchissent le pas du mariage veulent se retrouver dans une situation exceptionnelle et vivre quelque chose de fort. Le couple a besoin de s’accrocher à de belles choses, de se fabriquer des souvenirs. Au final, ce n’est peut-être pas très romantique, mais il est nécessaire pour tout un chacun de savoir que la vie n’est pas que linéaire mais jalonnée d’événements marquants.»
Et une fois les portes closes? Quelques rituels ont encore cours, comme porter la mariée pour franchir le seuil de la chambre. Certains mariés choisissent de nourrir le mythe de la découverte en passant la nuit précédant le mariage dans des lieux séparés ou en se privant de relations sexuelles pendant un certain temps. Pour Nicole Kranz, coach en séduction, il s’agit bel et bien d’une nuit durant laquelle il se passe «quelque chose de magique».
«Certains couples sont trop fatigués et s’endorment simplement ensemble. D’autres font l’amour comme si c’était la première fois. Il y a un jeu de séduction très fort: le fait de se retrouver mari et femme apporte une intensité supplémentaire. La nuit se déroule souvent dans un registre plutôt traditionnel, ce n’est pas à cette occasion que les gens réalisent leur fantasmes.»
Un avis partagé par Laurence Dispaux, sexologue installée à Morges. «Sur le plan sexuel, certains couples qui se connaissent depuis longtemps ont l’impression qu’ils ont épuisé toutes les possibilités et se demandent comment la pimenter. Au final, il s’agit toujours d’un moment spécial, mais pas forcément au niveau de la performance. L’heure est plutôt à la tendresse, à la discussion et aux retrouvailles après une journée intense d’obligations sociales, quitte à remettre le sexe au lendemain. C’est d’ailleurs ce que je conseille: dédramatiser et miser sur la complicité.»
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Témoignage
«Nous sommes partis par tradition, mais aussi pour déconnecter»
Nadine et Yonathan, Nyon (VD)
Nadine et Yonathan s’aiment depuis dix ans, dont cinq passés sous le même toit, lorsqu’ils se marient au printemps 2012. La cérémonie et la fête ont lieu sur une plage de Majorque avec 80 personnes. «Je voulais une belle fête, une belle robe, vivre un conte de fées. A la fin de la soirée, les invités sont repartis vers leur hôtel et nous sommes restés seuls sur place, raconte la jeune femme. Nous avons passé la nuit dans ancienne forteresse, dans une super jolie suite avec terrasse, jacuzzi et vue sur la mer. Pour nous, il était très important de marquer le mariage avec une belle chambre, même si nous avons fait la fête jusqu’à six heures du matin et que nous n’en avons pas beaucoup profité. C’est quelque chose dont nous avons beaucoup discuté, on s’est demandé si ça valait la peine et nous avons conclu que oui!» Le couple de Nyonnais, âgé aujourd’hui de 30 et 31 ans, s’évade ensuite pour une lune de miel de deux semaines en Polynésie, leur rêve de toujours, qu’ils peuvent enfin se permettre grâce à la participation des invités à la noce. «Nous sommes partis par tradition, mais aussi pour déconnecter, nous reposer dans un lieu auquel nous n’avions pas accès auparavant. Nous avons visité une île à la Robinson Crusoë, presque déserte, fait du snorkeling avec des requins à Bora Bora, profité de beaux hôtels. Nous en gardons un souvenir incroyable. Le mariage et le voyage de noces ont été très intenses. Le retour en revanche à la réalité s’est révélé un peu triste: après tellement d’émotions, on se sent vide une fois rentrés à la maison.»
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.