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Les secrets des services secrets américains

Le renseignement américain ne fournit pas toutes ses informations à l’Alliance atlantique.Explications de Jean Guisnel, spécialiste français des questions d’espionnage.

Sur le front du renseignement, cela fait un an que les relations entre Europe et Etats-Unis sont officiellement crispées. Ce malaise n’arrange pas vraiment les forces de l’OTAN, qui réclament le maximum de données techniques pour effectuer leurs frappes.

Les services secrets américains disposent d’une quantité phénoménale d’informations sur la Yougoslavie, mais seule une petite part est livrée à l’OTAN.

C’est la publication, en avril 1998, d’un ouvrage d’un chercheur néo-zélandais qui a détérioré les relations entre services secrets européens et américains. L’affaire concernait alors l’espionnage économique.

Le livre de Nicky Hager, «Secret Power», décrivait par le menu le système d’écoute mis en place par les Etats-Unis pour recueillir la totalité des conversations téléphoniques, des faxes et des e-mails en provenance ou à destination de l’Europe.

Ce système, baptisé Echelon, est géré par la National Security Agency (NSA), agence américaine de renseignement aussi riche que discrète. Beaucoup moins connue que la CIA, elle emploie au moins 100’000 personnes dans le monde et dispose d’un budget de plusieurs milliards de dollars.

Jusqu’à la publication du livre de Hager, seuls les spécialistes du renseignement connaissaient l’existence du système Echelon. Les citoyens européens et leurs représentants à Bruxelles ignoraient tout des activités réelles de la NSA. Personne n’osait croire que les Etats-Unis utilisaient leurs satellites espions et leurs dispositifs d’écoute pour épier les pays alliés.

Au printemps 1998, le livre de Nicky Hager déclenchait un tollé au Parlement européen. En septembre, les députés exigeaient des explications auprès du gouvernement américain, mais à ce jour, Washington n’a pas répondu.

Depuis, les relations entre les services secrets américains et ceux des pays européens sont donc plutôt tendues, comme l’explique Jean Guisnel dans son ouvrage «Les pires amis du monde» (éditions Stock), paru récemment. Et la guerre ne change rien à l’affaire. Alliés sur le front yougoslave, les Occidentaux n’en conservent par moins jalousement leurs secrets.

Grand reporter à l’hebdomadaire Le Point, Jean Guisnel est l’un des meilleurs spécialistes français des questions militaires et d’espionnage. Joint lundi par téléphone, il a répondu aux questions de Largeur.com.

Largeur.com: Le renseignement joue un rôle crucial dans l’opération militaire de l’OTAN en Yougoslavie. La NSA et les forces alliées peuvent-elles travailler la main dans la main?

Jean Guisnel: Certainement pas. Les Américains ne livrent à l’OTAN que ce qu’ils veulent bien livrer. Il ne faut pas oublier que l’information d’espionnage a une énorme valeur. Elle n’est distribuée qu’à un cercle restreint de décideurs.

Largeur.com: Les Etats-Unis disposent donc d’informations stratégiques sur la Yougoslavie qui restent inconnues de l’OTAN?

Jean Guisnel: Evidemment. Les informations recueillies par la NSA ou par le NRO (National Reconnaissance Office) sont réservées aux Etats-Unis. Certaines données sont livrées au National Security Council, d’autres au Pentagone, d’autres encore sont réservées au président Clinton et à lui seul. On ne donne aux militaires que ce qu’ils ont à connaître.

Largeur.com: Quels types d’informations les Etats-Unis livrent-ils à l’OTAN?

Jean Guisnel: Ils distribuent les informations dont l’OTAN a besoin pour effectuer les frappes. Prenons l’exemple du bombardement de la villa de Milosevic. Les militaires reçoivent les coordonnées de la villa, des photos de la villa, et les sites de défense qui se trouvent autour de la villa. C’est tout.

Largeur.com: Les services de renseignement des pays européens ont-ils encore un rôle à jouer dans cette guerre, quand leurs homologues américains disposent d’une telle puissance d’observation?

Jean Guisnel: Le satellite franco-italo-espagnol Helios joue un rôle important. Ses informations complètent celles des satellites américains, qui ne se trouvent pas sur la même orbite.

Largeur.com: A la mi-avril, un pilote de l’OTAN aurait bombardé par erreur une colonne de réfugiés. L’attirail technique de la NSA ne permettait-il pas de déterminer la nature de ce convoi?

Jean Guisnel: Cette affaire n’est pas claire. Il est possible que l’armée yougoslave ait tiré sur ces réfugiés. De toute manière, les satellites – et le renseignement technique en général – ne constituent jamais la seule source d’information. Leurs données doivent être confirmées par des observations au sol ou par les observations des pilotes.

Largeur.com: Les systèmes de surveillance satellitaire ont encore des failles?

Jean Guisnel: Bien sûr. On prétend parfois que les Américains peuvent repérer une cible par satellite et transmettre les données en direct dans le cockpit du pilote. Je n’y crois pas. Les Américains eux-mêmes disent que ça ne marche pas encore.

Largeur.com: Les satellites espions ont-ils réussi à prouver que l’armée serbe avait commis le massacre de Racak?

Jean Guisnel: Quand il s’agit d’exactions physiques, le renseignement technique ne permet pas d’obtenir des certitudes. Ses limites tiennent au monstrueux monceau d’informations à traiter.

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Propos recueillis par Pierre Grosjean

Jean Guisnel, «Les pires amis du monde», éditions Stock.
Nicky Hager, «Secret Power», Craig Potton Publishing.